La vie commence en octobre
C’est la rentrée. Les parents peuvent souffler. Le petit dernier a pris le chemin de l’école avec une petite gourde, un mouchoir bien épinglé au col de sa blouse, et fermement tenu en main par son grand frère. Il a fallu trois mois pour lui trouver un établissement. Leur pullulement témoigne que l’éducation figure parmi les grands secteurs des business émergents.
Les consommateurs ne manquent pas et le hit-parade officieux, témoigne de la formidable déperdition d’image de l’école publique.
Mais, tout compte fait, tant qu’il y aura des queues à la porte des EPP – Ecoles primaires publiques -, rien n’est perdu pour l’éducation. Tant que les parents gardent la foi quant aux valeurs du savoir, rien n’est incurable. « Le savoir est le plus précieux des héritages que les parents laissent à leurs enfants. » C’est un axiome auquel la force de l’évidence octroie le rang d’une parole ancestrale, sacramentelle.
Les sexagénaires qui vivent de leur vieille machine à coudre Singer, dans les marchés hebdomadaires de la capitale, l’ont vite compris. Pour elles, octobre c’est la haute saison des tabliers, comme juillet-août, celle des petites tuniques pour garçonnets fraîchement circoncis.
La cliente amène le tissu aux coloris et motifs stipulés par l’école, et en trois coups de ciseaux, la vieille couturière sort depuis sa machine, un tablier aux normes. Cela coûte, mais il faut ce qu’il faut et les lavandières, les tireurs de charrettes ou ceux qui vivent du tri des ordures, se saignent pour leurs petiots. Ainsi, commence l’éducation à l’égalité citoyenne, par le tablier. Voire ! La différence se fera au niveau des cartables et du matériel. Qualité import ou locale, la division du monde s’incruste dans les petites caboches sur lesquelles compte la République de l’Ecole pour tous, obligatoire et gratuite.
Combien de petits Lesabotsy comptent nos écoles ? Lesabotsy est un petit garçon né un samedi dont un chanteur a fredonné les états d’âme. Son cartable est un méchant machin de roseau tressé, effiloché d’avoir trop servi. Il avait successivement servi à ses deux aînés. Dans le clip, on le voit cachant l’horreur sous la table-banc du dernier rang, puis en sortant son manuel, il le fourre bien vite quelque part. Comme son cartable, son manuel est tout aussi innommable. Dans un effort surhumain, il lève frileusement la main pour quémander le droit à répondre – l’instit’ l’ignore pour s’intéresser à tout le monde, sauf à lui. Le petit Lesabotsy quitte l’école et désormais vit heureux en gardant les bœufs familiaux. L’école serait-elle le dernier vestige d’une planète disparue ? L’hypothèse est effarante quand au respect du livre dont l’école est le temple, succède le culte du petit écran. Les antennes de télévision, spectacle inégalable, hérissent les toits de toutes les bicoques des bas quartiers. On ne s’étonne plus que des magistères abandonnent le sacerdoce, se reconvertissent et font leur beurre sur l’inextinguible soif du savoir. Tant qu’il y aura un mois d’octobre…
par #MamyNohatrarivo
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