La fin des lémuriens ?
15 septembre 2012 - NatureNo Comment   //   2231 Views   //   N°: 32

Menacés dans leur habitat naturel par les déboisements, les lémuriens endémiques de Madagascar sont confrontés à un danger supplémentaire : le braconnage alimentaire. Madagasikara Voakajy tire la sonnette d’alarme. Un dossier qui reste sur l’estomac… 

Cuisse de poulet ou brochette de lémurien ? Sur certains marchés de brousse, la question ne se pose même plus : lémurien, évidemment ! « Un indri de 5 kg se vend dans les 10 000 Ar, c’est bien moins cher que le poulet qui est à 6 000 Ar le kilo et demi, un business très juteux pour les braconneurs », constate Hanta Julie Razafimanahaka, directrice de Madagasikara Voakajy, une ONG spécialisée dans la conservation des vertébrés endémiques : caméléons, grenouilles, chauves-souris et aujourd’hui les lémuriens. 

En collaboration avec des chercheurs locaux et étrangers, elle a réalisé une étude publiée sur Plos One sur les modes de consommation de viande de brousse à l’Est du pays. Sur 1 154 foyers interrogés dans la région Alaotra-Mangoro, 95 % avouent avoir déjà mangé de la viande d’espèces protégées, dont du lémurien. Cela malgré que ces « primates primitifs » (lémuridés, lépilémuridés et indriidés) soient inscrits depuis 1973 à l’Annexe I de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction). « Leur exploitation est soumise à une très importante réglementation et ils ne peuvent faire l’objet d’aucun trafic commercial. Ils ne peuvent être chassés, tués ou capturés sans autorisation particulière. » En théorie du moins…

Pour le seul district de Moramanga, on estime qu’environ une tonne de viande de lémurien est consommée chaque année par la population. « C’est lié au développement de l’activité minière qui a attiré beaucoup de monde. Comme ces migrants ont besoin de manger et que les ressources en animaux domestiques sont insuffisantes, cela pousse à braconner. On estime que 10 à 20 % de la population consomment de la viande de lémurien », précise Hanta Julie Razafimanahaka. 

On constate également que les tabous traditionnels (fady) qui pesaient autrefois sur la viande de lémurien sont en train de tomber. « Chez les Bestimisarakas de la côte Est, manger du babakoto (indri) est fady. Tout comme le sifaka chez les Sakalavas de l’Ouest. Mais c’est de moins en moins observé, car le souci principal est de trouver à manger. » Conséquence, la population des lémuriens, déjà menacée par la déforestation galopante, diminue comme une peau de chagrin. Dans la liste rouge des espèces menacées établie en 2008 par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), 90 % des lémuriens se retrouvent classés dans les catégories « vulnérable », « en danger », voire « en danger critique d’extinction » pour six espèces. 

La loi malgache sur la faune a beau avoir durci le ton lors de sa dernière mise à jour en 2006, tout cela reste sans effet sur le terrain. « Je ne suis au courant d’aucune arrestation de chasseurs », déplore la responsable de Madagasikara Voakajy. L’association multiplie donc les actions de sensibilisation dans les villages en collaboration étroite avec le ministère de l’Environnement et des forêts, celui de l’Éducation nationale et les autorités locales. « Nous sommes conscients que si on leur interdit de chasser, nous devons leur apporter des solutions de substitution. Aujourd’hui, nous travaillons sur l’amélioration de la disponibilité de la viande de poulet dans les villages et d’autres viandes domestiques. »

La création de nouvelles aires protégées est un autre volet sur lequel s’active l’association. « La chasse est une menace qui peut encore être réduite ou gérée, en tout cas beaucoup plus facilement que les dégâts dus au tavy (culture sur brûlis) », estime Hanta Julie Razafimanahaka. C’est le prix à payer si Madagascar veut demeurer le pays où vit la quasi-totalité des lémuriens de la planète.

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