Jean Claude Vinson : « Il y a du bon dans le métissage musical »
1 mars 2019 - CulturesNo Comment   //   2253 Views   //   N°: 110

Il est un grand fan de Jimi Hendrix et a côtoyé des grands noms comme Carlos Santana. Lui, c’est Jean Claude Vinson, guitariste, producteur, manager, tourner et militantiste écologique pour les Mikea. Rien que ça ! Il prépare aujourd’hui son troisième album. Un projet qui le branche !

S’il fallait définir votre style ?
Je dirais qu’il est très rythmé. Je fais du blues rock vibrant aux rythmes ternaires malgaches. Sur scène, avec ma guitare électrique, je suis toujours ému de jouer des solos qui rappellent les rythmes de mon pays. Ma musique est à mon image. Elle est métissée. Né d’un père français et d’une mère malgache, je suis très fier de mes racines musicales malgaches et j’explore celles d’ailleurs. Cela n’a pourtant pas toujours été facile de vivre à Madagascar en tant que métisse dans les années 60. Lors de ma période collège, les Français m’ont traité de sale malgache et mes copains de classe m’ont surnommé « taim-bazaha » (français pauvre). C’était une période dure. On m’a souvent agressé et traité de tous les noms mais au final cela m’a rendu fort. Je n’ai jamais renié qui je suis car je suis convaincu qu’il y a du bon dans le métissage. C’est ce que je partage à travers ma musique.

Comment vous êtes-vous retrouvé avec une guitare entre les mains ?
A l’âge de douze ans, j’ai entendu à la Radio Nationale Malgache que l’homme qui faisait parler sa guitare était mort. Il s’agissait de Jimi Hendrix. J’ai été plus que curieux d’écouter comment est-ce possible de faire parler sa guitare ? Pareil, j’ai dansé le slow sur l’incroyable set de guitare de Santana. Petit à petit, j’ai commencé à tendre l’oreille. Depuis, j’ai considéré que la musique était sacrée. Je n’ai fait qu’écouter jusqu’à mes 41 ans. Là, j’ai commencé à apprendre la guitare. Mieux vaut tard que jamais (rires). Il m’a fallu des années d’écoute musicale pour bien maîtriser les rythmes. De là est né mon groupe Vinson and Masoandro Band. J’ai choisi le nom Masoandro (soleil) en hommage à Madagascar grâce à sa chaleur musicale. J’ai sorti l’album Mikea Forest Blues en 2008, suivi d’un concert au Centre culturel Albert Camus (actuel Institut français de Madagascar) la même année.

Pourquoi cette passion pour les Mikea ?
C’est grâce à mon instituteur au collège. Il était tellement passionné par la population Mikea du Sud. Sa manière de raconter leur histoire m’a beaucoup touché. Pourtant, à l’époque, les gens parlaient des Mikea comme d’une légende, genre ils n’existaient pas. Des années après, j’ai voulu les voir de mes propres yeux. Avec mon ami cinéaste Jean Pierre Dutilleux, nous y sommes allés. Nous avons produit le film Les Mikea (27 minutes). Stewart Copeland, le fondateur du groupe The Police, a fait la musique du film. Depuis cette expérience, l’histoire des Mikea m’a marqué. Dans mon premier album Mikea forest blues, mes sets de guitare rappellent les sons d’ambiance de leur forêt. Je traduis aussi en musique leur manière de s’appeler, notamment leurs cris dans la forêt.

Et vos textes ?
J’ai commencé à écrire des textes engagés dans mon deuxième album Blue bird. C’est un oiseau au reflet bleu, appelé Treotreo, habitant dans la forêt des Mikea. J’ai transposé la voix de cet oiseau au son de ma guitare. En ce qui concerne les paroles, j’écris sur la disparition de cette forêt notamment sur les pillages. Dans ma chanson Rosewood and ebony, je parle des coupes illicites de bois précieux. Dans mon clip intitulé Bois de rose, on y voit des images de coupes et des conteneurs chargés. J’ai eu des problèmes, mais bon c’est le risque du métier. Je veux faire savoir à travers ma musique que cette terre appartient aux générations futures. Il y a tout un écosystème qui est menacé. D’autant plus que les bois précieux mettent un siècle à se régénérer.

Votre parcours n’a pas été de tout repos…
Dans les années 70, j’ai ouvert le magasin de disque Symphonia avec un ami à La Réunion. J’avais 18 ans et à l’époque les 33 tours marchaient très bien. Les boîtes de nuit à Madagascar venaient se fournir en disques dans mon magasin. Cette époque m’a filé le coup de blues. Le pays a été coupé du monde occidental au niveau musical. Pourtant, plusieurs Malgaches étaient présents à l’international. On peut citer le premier groupe de rock français Danny Boy et les Pénitents. Sur les quatre musiciens, trois étaient malgaches. Le rocker américain Churry Berry s’est produit à l’Olympa en 1966 avec son pianiste malgache. J’ai aussi beaucoup apprécié le guitariste malgache Dezy Saramba qui excellait dans le blues. Malheureusement, on l’a mis de côté parce qu’il faisait une musique d’ailleurs. Il fait partie de ces artistes que la politique a détruits.

Parlez-nous de votre collaboration avec Carlos Santana…
En tant que producteur de Jean Emilien, j’ai négocié pour qu’il fasse la première partie de Carlos Santana à Paris-Bercy en 1991. Il a également accompagné Bernard Lavilliers et Pow Wow à l’Olympia à Paris. A l’époque, je voulais aussi faire connaître la musique malgache à travers le monde. J’ai contribué à la production de quatre 33 tours qui compilaient les grandes pointures comme Mahaleo, Rossy, Rakoto Frah, Bessa, etc. J’ai fait tourner ces disques à travers le monde en collaboration avec les labels Ace Records et Globe Style.

Que pensez-vous de la musique malgache actuelle ?
D’une part, il y a une énergie vive et une belle créativité. J’admire les artistes comme Rolf, Talike, Edgard Ravahatra, Sylvain Marc, etc. Il y a des artistes qui maîtrisent à la fois la musique traditionnelle et celles d’ailleurs. Ils ont pris le temps d’étudier à la fois leurs racines musicales et la musique étrangère qu’ils veulent utiliser. La fusion n’est donc pas ratée. Je suis toujours convaincu qu’il y a du bon dans le métissage musical. D’autre part, Madagascar est tellement riche en rythmes que certains artistes ont du mal à maîtriser leur art. C’est pour cela qu’il faut bien connaître le genre musical qu’on s’approprie. L’auditeur ne nous donne qu’une seconde pour décider s’il aime ou pas. Si notre musique ne lui plaît pas, il nous zappe !

Vos projets ?
Je vis actuellement à Madagascar et je prépare mon troisième album qui sortira à la fin de l’année. J’espère qu’il m’emmènera sur les scènes des festivals malgaches et en Europe. Il s’agit d’un album d’une quinzaine de titres et qui traite toujours de la protection de l’environnement. Je suis un artiste engagé et j’assume !

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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