Ifanihy : Putain de toi
3 mars 2013 - Cultures MusiquesNo Comment   //   2051 Views   //   N°: 38

Bien arrimé à sa guitare de bois brut, cela fait trois décennies qu’on le compare à Brassens. La moustache en moins. Trente ans de carrière émaillés de mots rudes, qu’accompagne cette année la sortie coup sur coup de deux albums commémoratifs.

« Je suis le pornographe du phonographe », chantait Brassens. « Le polisson de la chanson », pourrait lui rétorquer Ifanihy (littéralement la chauve-souris) qui par admiration pour le troubadour de Sète a été jusqu’à traduire en malgache l’irrévérencieux Le nombril des femmes d’agents (Ny foitran’ny vadin’ingahy pôlisy). Capable sur scène, comme tonton Georges, de faire reprendre en choeur le rude refrain de Fernande… eh oui papa, ça ne se commande pas ! Ce côté anar joyeusement assumé qui met depuis trente ans les rieurs de son côté et fait enrager les Tartuffe. Une filiation qu’Ifanihy, Roland Randriamanantsoa pour l’état civil, a quand même tendance à relativiser : « Ca faisait déjà dix ans que je chantais quand j’ai découvert Brassens. C’est d’abord une coïncidence si nos univers se ressemblent. » Soit !

Lorsque Lemena, son premier succès, est diffusé sur les ondes en 1984, l’histoire d’un pêcheur qui disparaît en mer, on a le sentiment d’assister à l’émergence d’un style nouveau. Lui-même lui donnera le nom de vazo miteny, l’équivalent de « chanson à texte ». Une écriture particulièrement léchée et un accompagnement musical réduit à sa plus stricte expression : une guitare sèche et c’est tout. Mais ne nous y trompons pas, derrière des compositions comme Lesabotsy (1990) ou Ikala Dauphine (2000) affleure quelque chose du bà gasy de Razilinà.

Tout ce bon vieux folk des Hauts Plateaux, remis au goût du jour quelques années plus tôt par Mahaleo et Lôlô sy ny Tariny. Quant à sa façon de pincer les cordes, Ifanihy reconnaît l’influence de Marcel Dadi, guitariste trop tôt disparu qui sut réinjecter dans le folk-rock des années 70 le finger-picking dévastateur des Chet Atkins. Et comme Dadi, auteur d’une célèbre Méthode pour apprendre à jouer de la gratte, lui-même ouvrira en juin de cette année sa propre école de guitare…

Poète de la rue, Ifanihy ne s’impose aucune censure dans le choix des mots. L’argot des pavés l’enchante. « Il faut juste trouver la bonne façon de jurer, sinon ça fait grincer les dents… » Vulgaire ? On dirait trash aujourd’hui, n’en déplaise aux « cornes d’auroch » ! Il est certain que des chansons comme Irery Madama (Madame se sent seule) ou Zokilahy (l’histoire d’un homme rendu impuissant par l’alcool) ne sont pas à mettre dans toutes les oreilles, mais tellement vraies ! « Je parle des choses de la vie avec les mots qui vont avec, pas la peine de se voiler la face », plaide Ifanihy qui regrette toutefois chez les chanteurs d’aujourd’hui une « tendance à confondre vazo miteny et surenchère dans la provocation ».

Pour ses 30 ans de carrière, le chanteur annonce la sortie coup sur coup de deux albums : la version remastérisée du DVD live Kapila hisainana (Disque à méditer) et une galette de douze titres inédits Tany aman-danitra (Terre et ciel). « Dans les six premiers titres, j’évoque de façon décalée le ciel, c’est-à-dire la vie dans l’au-delà, et dans les six autres la guitare et les plaisirs d’ici-bas. » Pour l’année prochaine, il projette un album entièrement constitué de reprises de Brassens. Le gorille des Hauts Plateaux va encore frapper !

 

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