Emmanuel de Tailly : On préfère leadership à monopole !
7 septembre 2015 - ÉcoNo Comment   //   3550 Views   //   N°: 68

Fleuron de l’agroalimentaire Malgache et désormais unique brasseur installé sur la place, le Groupe Star ne cache pas son ambition de marquer des points à l’international, en démarrant dans la région océan Indien. Tout cela dans un contexte national des plus moroses et de demande urgente de réformes, nous explique son responsable. 

Président-directeur général adjoint des Brasseries Star Madagascar 

Un an après, êtes-vous en mesure de dire que le rachat de la Nouvelle Brasserie de Madagascar (NBM) a été une bonne affaire pour la Star ?
Absolument. Par ce rachat, nous avons sauvegardé l’outil industriel de la NBM et maintenu les marques Skol et Libertalia. Au travers désormais de ses quatre filiales – Brasseries Star, Sema Eau Vive, Malto, et donc depuis mai 2014 NBM -, le Groupe Star est davantage en mesure de consolider ses acquis et de se présenter comme un des fers de lance de l’agroalimentaire malgache. Ainsi pour ce mois de septembre, nous allons recevoir la certification ISO 9001 pour l’ensemble de notre activité. Cela confirme notre capacité d’aller vers des marchés encore plus compétitifs, qu’ils soient régionaux ou internationaux, car nous avons la ferme intention de nous développer dans l’océan Indien, et audelà.

 Nous sommes déjà présents et reconnus sur les marchés européens, américains et asiatiques, aidés en cela par la dimension internationale du Groupe Castel, numéro un en Afrique de la bière et des boissons gazeuses, aux commandes de la Star depuis maintenant quatre ans.

Avec le rachat de la NBM, vous avez de fait le monopole de la bière à Madagascar…
Ce n’est pas un monopole que nous revendiquons, mais la reconnaissance d’un véritable leadership ! C’est tout d’abord l’État qui détient 34 % du capital de la Star qui nous a demandé de racheter NBM. Cette société était au bord de la faillite et je trouve que c’était nécessaire car nous avons sauvé des emplois et un site industriel majeur. C’est en quelque sorte une profession de foi dans l’avenir de Madagascar car le pari était loin d’être gagné. Ce rachat n’est donc pas l’expression de notre opposition à toute forme de concurrence ; nous l’encourageons même vivement sur un marché ou nos produits tentent déjà de se faire une place avec les cartes téléphoniques, le rhum, les cigarettes et le PMU. Mais il faut en déduire que pour concurrencer le Groupe Star, qui est dans la bière à Madagascar depuis plus de 60 ans et quasiment entrée dans la culture locale, il faut pouvoir s’en donner les moyens face à ses six usines et 17 agences desservies par 800 véhicules, 71 références de produits sur un marché très compétitif. Et cela bien sûr a un prix…

Pourquoi l’agroalimentaire malgache est-il aujourd’hui en crise ?
À la fin des années quatre-vingt, c’était un secteur porteur basé sur le partenariat amont/aval entre l’agriculture et l’industrie manufacturière. Il y avait la filière farine, la filière textile, la filière sucre, pour ne citer que celles-là. Mais en quelques décennies, de producteur de matières premières et de produits finis, le pays est devenu structurellement importateur. Nous, les industries manufacturières de ce secteur, dépendons désormais pour presque tout, du marché extérieur pour nos intrants. C’est le résultat de problèmes successifs liés aux problèmes d’infrastructures, d’approvisionnement énergétique, de régularité des productions locales et de concurrence d’importateurs peu scrupuleux qui ont handicapé bien des sociétés. De fait, avec quelques rares industries (tabaculture, lait…), nous sommes les « rescapés » du secteur agroalimentaire malgache. Et pour y arriver, nous avons dû mettre en place et maintenir tout un partenariat avec le paysannat au travers de notre filiale Malto qui produit localement avec 10 000 paysans, 4 500 tonnes d’orge, 6 000 tonnes de maïs et 1 500 tonnes de sucre roux.

Vous lancez un cri d’alarme…
Je le dis sans hésitation : si la filière agroalimentaire qui est déjà fragilisée par les problèmes que je citais, n’a pas le soutien nécessaire et les infrastructures adéquates, elle va disparaître. L’on sait déjà que l’industrie ne contribue plus qu’à 12 % du PIB alors qu’elle représentait 22 % dans les années quatrevingt. Cela est le résultat d’un marché intérieur dont nous dépendons qui est constitué d’un pouvoir d’achat très faible – nos premières bières sont à 30 centimes d’euros, le taux de consommation de bière est de 5,5 litres par habitant et par an -, d’une dégradation lente mais inexorable des infrastructures et d’un manque d’attention de l’État. Nous pouvons mentionner par exemple le taux de disponibilité de l’énergie qui est passé de 90 à 60 % ces trois dernières années. Ou encore la fiscalité qui n’est pas encore adaptée à nos spécificités en prenant en compte par exemple le taux de matières premières locales que nous utilisons ou la nécessité d’un code d’investissement adapté à notre industrie. Néanmoins, et malgré tous ces handicaps, l’agroalimentaire représente encore entre 30 à 40 % des recettes budgétaires sans parler des emplois qui sont innombrables. Raison supplémentaire pour la soutenir !

En quoi la fiscalité actuelle est-elle pénalisante ?
Madagascar est devenue un marché dominé principalement par l’informel. Et j’évoque ici plutôt la grande délinquance économique, car beaucoup d’opérateurs importants utilisent les infrastructures de Madagascar sans payer leur contribution fiscale. Le fait est que bien des opérateurs pensent également qu’il n’y a pas assez de contreparties de la part de l’État, ce qui ne les encourage pas à s’acquitter de leurs contributions. Il faut sérieusement réfléchir sur ce problème car c’est le rôle de tous de corriger cette situation. Tout le monde doit apporter sa part dans la recette budgétaire, mais en contrepartie l’État doit mener certaines réformes vitales, notamment sur les infrastructures et sur le soutien à nos secteurs. Dans un pays comme Madagascar où les entreprises sont fragiles et le pouvoir d’achat faible, l’augmentation du taux de pression fiscale sur les entreprises n’est pas forcément la meilleure solution. Il faut plutôt élargir l’assiette fiscale.

Pensez-vous qu’il y a la volonté politique de faire bouger les choses ?
La volonté de l’État est là, mais il faut mettre en place une véritable concertation entre tous les acteurs politiques et économiques. Une politique industrielle a déjà été votée en accord avec le gouvernement et le Syndicat des industriels de Madagascar (SIM) et le Code de l’industrie est en cours de préparation. Tout cela est très positif, mais il faut s’inscrire dans la durée. L’industrialisation est un indice réel de développement d’un pays et il est temps que Madagascar comprenne que son développement passe nécessairement par son industrie. Si nous sommes capables de valoriser nos matières premières, nous serons capables de pérenniser l’agriculture et les infrastructures, de créer des emplois et par là même de résoudre une partie de nos problèmes structurels, notamment le chômage. C’est à ce prix que nous pourrons regagner notre place de leader dans la région océan Indien. Si Madagascar ne joue pas ce rôle, nous allons devenir un simple marché de négoce, un simple comptoir où il n’y aura plus finalement que des importateurs et quelques exportateurs. C’est pourquoi il faut d’urgence une concertation des secteurs privé et public pour définir ce qui est vraiment essentiel pour le pays sans attendre que les bailleurs de fonds nous disent de faire les choses. C’est à nous de définir nos besoins et nos priorités.

La Star s’inscrit-elle toujours dans le sens d’une société citoyenne ?
Plus que jamais. Nous voulons apporter notre contribution dans la réduction de la pauvreté à travers quatre axes majeurs : la santé, l’éducation, l’environnement et les actions sociales. Pour cela, nous reversons chaque année un milliard d’ariary auprès des organisations non gouvernementales, des associations et des écoles, en ville comme en brousse. En août dernier, par exemple, 1 040 enfants issus de dix fokontany de la capitale ont reçu des couvertures offertes par le Groupe Star en partenariat avec le Consulat de Monaco. En juin, nous avons livré six panneaux solaires d’une valeur de 12 millions d’ariary à l’Alliance française d’Ambovombe, dans le Sud, afin de permettre aux étudiants et aux adhérents de bénéficier, à toute heure, d’éclairage et de connexion Internet. Qui donne la leçon doit l’exemple…

L’Africain
Fort de ses 11 années d’expérience au sein du groupe français Castel – en République démocratique du Congo, au Togo et au Tchad – Emmanuel de Tailly est nommé présidentdirecteur général adjoint des Brasseries Star Madagascar en juillet 2013. À tout juste 50 ans, il entend faire de la Star l’un des fers de lance de l’agro-industrie malgache. Son attachement au continent africain remonte à ses 9 ans lorsqu’il rejoint son père en Afrique francophone. Après des études de commerce, il débute au Zaïre en 1990 et intègre des multinationales de renom comme Bolloré ou Maersk. Mais la rencontre décisive a lieu en 2004. « J’ai été reçu par Monsieur Castel en personne. J’ai été profondément impressionné. Et j’ai alors décidé de quitter la logistique pour rejoindre l’industrie. J’ai démarré au Tchad où nous avons racheté notre concurrent Heineken. » Avant de venir à Madagascar, il a tenu de hautes responsabilités au sein de Castel, notamment comme administrateur-délégué des brasseries Bracongo à Kinshasa et Brasimba à Lubumbashi.

La Star en chiffres
1953 Création de la Société tananarivienne d’articles réfrigérés (Star), Brasseries Star Madagascar depuis 1980
1958 Lancement de la bière THB (Three Horses Beer)
1970 Lancement de Eau Vive
2011 Rachat de la Star par le Groupe Castel
2014 Acquisition de la Nouvelle Brasserie de Madagascar
24 marques (bières, eaux minérales, boissons gazeuses, boissons énergisantes, jus, rhum etc), dont :
8 marques de bière (THB, Queen’s, Fresh, Skol, Castel, Gold, Heineken, Libertalia)
3 marques d’eaux minérales (Eau Vive, Cristalline, Cristal)
6 usines
17 agences et plus de 17 000 points de vente dans tout Madagascar
1 800 salariés et 100 000 emplois indirects
Plus de 800 véhicules transportant chaque jour 1 000 000 de bouteilles 

Propos recueillis par #HildaHasinjo 

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