Disparaître pour une feuille
20 février 2019 - À lire Cultures Lire Livre du mois LivresNo Comment   //   1780 Views   //   N°: 109

Publié il y a une quarantaine d’années, un peu noyé dans une abondante production – plus de trente romans de nombreux autres textes dans divers genres –, Le ravenala ou L’arbre du voyageur, de Jacques Perry, est orné d’un titre qui nous intrigue depuis longtemps. Forcément… Il a aussi été couronné par le Prix du Livre Inter, qui en était seulement, en 1976, à sa deuxième année d’existence et n’était pas encore l’ascenseur vers le succès qu’il est devenu depuis.

Retour vers l’enfance singulière de Vivien Lambert, fils d’un garde forestier de Touraine devenu répétiteur. Attaché aux arbres qui l’entourent, à sa famille aussi ancrée que lui dans un lieu presque inhabité, Vivien regarde grandir son frère et sa soeur.

Son frère, surtout, Antoine, collectionneur de feuilles de toutes espèces. Celles de la forêt presque personnelle, d’abord,

« jusqu’à celle d’un ormeau perdu à la lisière, les pieds dans l’eau d’une mare ». Puis, quand il en a fait le tour, Antoine s’aventure plus loin, entre dans des propriétés, demande « l’autorisation de prendre une feuille de chaque arbre qu’il ne connaissait pas. » Il croise, dans les parcs des châteaux, des vieux cèdres, des bambous géants. Dans des serres, le mimosa et l’oranger. Un jour, le voici dans le jardin d’hiver d’un vieux monsieur amateur d’arbres exotiques.

« On l’accompagna et on le surveilla de près. C’est qu’il n’était pas question de prendre une seule feuille au ravenala ou arbre du voyageur rapporté de Madagascar. “C’est un éventail géant, nous dit Antoine, avec trente-quatre feuilles dans un seul plan. Elles ont plus de quatre mètres ! Le monsieur m’a dit que comme elles sont symétriques il ne peut pas m’en donner une. L’arbre serait déparé.” »

La peine d’Antoine est immense, il a découvert l’inaccessible. Et laisse tomber sa collection en poussière…

Sinon que le rêve de la feuille de ravenala (ou ravinala, comme nous disons plus souvent ici), n’est peut-être pas tout à fait éteint. Et, quand Antoine disparaît, sans donner de ses nouvelles pendant une vingtaine d’années, Vivien sait où il doit chercher ses traces : « Le Ravenala ! Antoine était parti chercher une feuille de ravenala ! Il m’avait dit que ça poussait à Madagascar. » Un livre sur la Grande Île confirme la présence du ravenala sur la côte orientale, dans la forêt que traverse le chemin de fer de Tamatave à Tananarive. Vivien écrit dans les deux villes, joint à ses lettres des photos d’Antoine. L’a-t-on vu ? Est-il passé par ici ? Repassera-t-il par là ?

Madagascar est un rêve tout autant que la feuille interdite dans la collection inaboutie. Un beau rêve, certes, bien que jamais ou peut-être parce que jamais confronté à la réalité. Il nourrit le roman d’une sève vivace.

Jacques Perry. Le ravenala ou L’arbre du voyageur (Albin Michel, 1976)

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