Bertil Åkesson : La qualité malgache
26 décembre 2012 - GastronomieNo Comment   //   5805 Views   //   N°: 35

Dans la famille Åkesson, je demande le fils. À 42 ans, ce jeune homme de bonne famille très active dans le négoce des produits agricoles et miniers n’entend pas se contenter d’être un héritier. À la saga familiale ouverte à Madagascar depuis 1978, il a su apporter un savoir-faire de plus, la culture d’un des meilleurs cacaos du monde, suivi depuis trois ans d’un chocolat de réputation internationale. 

Au sein du groupe Åkesson (Sagi), on peut dire que le cacao est devenu avec les années votre signature personnelle…
Il faut d’abord noter que nos activités de plantation dans le Nord, là où se trouvent les cacaoyers, ont débuté assez tardivement, en gros dans les années 1990. Jusque-là, mon père Carl Gustaf Bertil Åkesson, le fondateur du groupe, s’était plutôt concentré sur l’exploitation du sisal et de produits minéraux comme le graphite et le mica. Suédois de naissance, il avait eu l’opportunité de racheter en 1978 divers domaines issus de grandes sociétés de la période coloniale, d’où notre implantation à Madagascar. Personnellement, c’est en 2003 que revenu sur la Grande Ile pour l’aider dans ses activités, j’ai commencé à m’intéresser au cacao, et depuis 2007 je m’y consacre en totalité via la société Somia, avec en annexe un peu de café et de poivre puisque ce sont les mêmes aires de culture. 

C’est un monde qui me plaît, un monde de passionnés avec un authentique art de vivre. 

En quelques années, vous réussissez le coup de force d’installer Madagascar sur la carte mondiale du chocolat…
A partir de 2004-2005, on a commencé à développer la qualité de nos fèves en s’intéressant plus spécifiquement à la fermentation. Jusque-là les paysans malgaches ne pratiquaient pas cette opération. Or, c’est un processus indispensable pour révéler les arômes du cacao. Cela nous a permis d’attirer de grands chocolatiers comme Valrhona qui a commencé à acheter nos fèves et à asseoir assez rapidement la réputation de Madagascar. Aujourd’hui, le pays est considéré comme l’une des meilleures terres à cacao du monde, notamment Abanja et la vallée du Sambirano où se trouve notre plantation. On y cultive les trois grandes variétés de cacao : du criollo, le cacahuatl des anciens Aztecs considéré comme le must, du forastero d’Amazonie et du trinitario qui est un hybride des deux. Personnellement, j’ai un faible pour le forastero avec ses notes boisées de tabac et de feuilles mortes.

Que représente le cacao au sein du groupe ?
On est vraiment dans du petit volume, mais de haute qualité. Un peu comme quand on parle de grands crus pour les vins. Sur les 2 000 ha de la plantation, le cacao occupe peut-être un tiers de la surface, loin derrière l’ilang. En production annuelle, c’est environ 300 tonnes de trinitario, 2 tonnes de criollo et une vingtaine de tonnes de forastero. Pour ce dernier, j’exploite aussi depuis 2009 120 ha de cacaoyers au Brésil qui me donnent 86 tonnes de fèves, pas plus. Notre spécificité est qu’on approvisionne uniquement les grands artisans chocolatiers et les plus grands chefs : Domori, Castagna, Bonnat en Europe, Amano, Patric ou The Mast Brothers aux États-Unis, sans oublier l’Australie et le Japon. On est deux à Madagascar sur ce créneau de la qualité. Le reste de la production malgache, soit 5 000 tonnes par an, c’est pour la grosse industrie. Soit toute la différence qui peut exister entre un Bordeaux et un vin de table d’assemblage divers…

De fournir les grands chocolatiers va vous donner l’idée de faire vous-même votre chocolat…
En apprenant à composer le goût des fèves, j’ai voulu donner à mon tour mon interprétation du chocolat. C’est un projet qui m’occupe depuis 2004, mais la marque Åkesson’s n’est sur le marché que depuis févier 2009. Pour l’instant j’ai huit tablettes en production, dont quatre sont faites exclusivement à partir de produits malgache : un chocolat noir certifié bio à 75 % de criollo et trois chocolats au poivre (sauvage, noir et rose) à 75 % de trinitario. L’idée était tout simplement d’utiliser les lianes de poivres qui poussent sur les arbres d’ombrage protégeant les cacaoyers du soleil. Ma signature, ce sont ces produits de plantation que je mets en commun. Avec mon cacao du Brésil, en plus d’un cru à 75 % de forastero, je propose un chocolat combiné à du café. En Indonésie enfin, je me fournis auprès d’une coopérative amie qui me permet de fabriquer un chocolat à 75 % de trinitario et un chocolat au lait réalisé avec du sucre de fleur de cocotier et de la fleur de sel de Bali. Ces chocolats sont d’ailleurs les premières tablettes d’origine balinaise réalisées en Europe.

Car Åkesson’s, curieusement, n’est pas une marque malgache…
La société est enregistrée en Suisse et le chocolat est fabriqué en France sur les machines d’un de mes clients. Tout simplement parce que je reste d’abord un planteur. Le chocolat par lui-même ne représente que quelques tonnes par an, à peine 10 % de mon chiffre d’affaires par rapport au cacao. Si j’ai choisi la France pour le fabriquer, c’est que je me sens plutôt dans cette tradition chocolatière, un peu différente de celle des États-Unis, mais par mes plantations il est aussi malgache… Mon but est uniquement de promouvoir un chocolat de qualité dans une industrie où 75 % du cacao est transformé par quatre multinationales et destiné la grande distribution. Un marché où il est difficile pour un artisan de se faire sa place. Un chocolat haut de gamme coûte 4 à 5 euros ; en proposant le leur à 1 ou 2 euros la tablette, les grands groupes industriels ont sciemment cassé les prix.

En attendant, Åkesson’s marque des points à l’international…
En 2011, pour notre première participation à l’Academy of Chocolate World à Londres, on a reçu la médaille d’or pour notre cru brésilien et deux médailles d’argent. En 2012, c’est Madagascar qui a décroché l’or aux International Chocolate Awards pour le meilleur chocolat bio. C’est très encourageant pour nous et pour la Grande Ile dont nous mettons les produits en valeur. Je pense déjà à d’autres mélanges, comme le combava ou l’ilang. Egalement à faire du chocolat à boire d’ici 2013 avec de la poudre de cacao. Peut-être aussi du chocolat blanc…

Et le marché malgache ?
J’ai choisi de me positionner sur l’international avec des boutiques Åkesson’s actuellement dans 16 pays, et je réfléchis à un point de vente ici. Malheureusement, le haut de gamme est peu porteur à Madagascar, trop cher et encore trop loin des habitudes de consommation. Mais il y a des signes qui montrent que ça bouge. À cette heure, s’il n’y a que deux chocolatiers qui travaillent la fève de cacao pour le marché intérieur : Robert et Sinagra, on constate que c’est autant qu’en Belgique et donc plutôt bon signe. Ils ont nettement poussé la qualité et aujourd’hui ils n’ont pas peur de développer des marques à l’international pour les épiceries fines, notamment sur le marché américain. La qualité malgache est bien au rendez-vous. 

Propos recueillis par #AlainEid 

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