Barinirina Rajoelisolo Rova olivia : « Mada brûle, tana tousse »
Si la capitale a retrouvé un air propre durant le confinement, la reprise des activités signe le retour de la pollution, encore aggravée à cette saison par la fumée des feux de végétation. Elle est impliquée dans un décès sur six chaque année à Madagascar, explique Rova Barinirina, responsable du développement et suivi évaluation de l’ONG INDRI.
Peut-on dire que la pollution est la principale cause de décès dans le monde ?
Hélas oui. D’après les experts, les différentes formes de pollution (de l’air, de l’eau, des sols) tuent plus de gens chaque année dans le monde que la guerre, la faim, le paludisme, le Sida et la tuberculose. Notre pays n’est épargné par aucune de ces pollutions, mais c’est sans doute la pollution de l’air qui est la plus grave sur le plan sanitaire. En cause, la cuisson des briques, les feux de déchets, les véhicules mal entretenus, le carburant de mauvaise qualité, les centrales thermiques, la cuisson domestique au charbon de bois… mais aussi les feux de végétation. En septembre et octobre, les habitants des hauts plateaux respirent des quantités alarmantes de fumée provenant des feux de forêts ou de prairies, souvent sans le savoir.
La pollution des zones rurales rejaillit sur les villes…
Chaque année, Madagascar brûle. Les feux se multiplient pour renouveler les pâturages, nettoyer les champs ou pratiquer l’agriculture sur brûlis. Certains échappent à tout contrôle. On pourrait croire que cela se passe trop loin pour toucher les zones urbaines, mais pas du tout. Les particules fines parcourent de grandes distances et se retrouvent dans les villes. Elles s’ajoutent aux pollutions déjà présentes, et les concentrations explosent même dans les quartiers éloignés du trafic routier. La fumée est partout, jusque dans les habitations. Ainsi le 1 er octobre dernier, suite à d’importants feux de végétation dans la région d’Analamanga, nous avons mesuré à Tana des concentrations de particules fines dix fois supérieures aux normes fixées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), même loin des axes routiers.
Quelles sont les conséquences pour la santé ?
En plus de constituer un désastre écologique (recul des forêts, dégradation des sols, érosion, etc.), les feux sont à l’origine d’un grave problème sanitaire. Les fumées peuvent causer un accroissement des maladies cardiovasculaires, de l’asthme et des cancers, ainsi que des impacts graves sur les grossesses et même sur le cerveau. En janvier 2020 après les grands feux qui ont frappé l’Australie, la revue scientifique The Lancet a d’ailleurs indiqué que les taux de particules fines constatés pourraient causer une surmortalité de 5,6 %. La situation constatée à Tana, bien que très peu étudiée, pourrait s’avérer aussi grave d’autant qu’elle se répète chaque année.
Quelles solutions pour pallier ces problèmes ?
Le risque sanitaire ne peut plus être ignoré. Alors que depuis 1990, Madagascar a réussi à faire baisser la mortalité liée aux maladies transmissibles, les pathologies causées par la pollution de l’air continuent d’augmenter. Pour renverser cette tendance, il faut s’attaquer à la fois à la pollution automobile (qualité des carburants, contrôle technique des véhicules, transports propres) et au problème des feux resté non résolu depuis des décennies. La bonne nouvelle, c’est que, Madagascar dispose de nombreux acteurs investis dans la gestion des paysages et des forêts, qui sont compétents et volontaires (administrations, ONG, société civile, secteur privé, chercheurs, bailleurs de fonds). Si le pays échoue, ce ne sera donc pas par manque de capacité, mais peut- être à cause d’un éparpillement des actions.
Justement, quelles sont les actions menées INDRI ?
En tant que think-and-do tank (groupe de réflexions et d’actions) malgache, INDRI veut soutenir les autorités et la diversité des acteurs concernés dans leurs efforts pour faire émerger une stratégie collective face à cet enjeu capital. C’est le but de la plateforme Agora des paysages et des forêts de Madagascar que nous préparons actuellement. C’est un travail de longue haleine. Mais nous sommes convaincus que, si nous sommes unis et déterminés, l’intelligence collective du pays peut permettre de restaurer nos écosystèmes et de rendre à la population des paysages de qualité et un air plus respirable.
Propos recueillis par #AinaZoRaberanto
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