Bako Rasoarifetra : « Il faut une professionnalisation de la muséologie à Madagascar »
9 mai 2023 - CulturesNo Comment   //   434 Views   //   N°: 160

La journée mondiale des musées est célébrée tous les 18 mai. Lieu de visites, mais surtout de conservation, de recherches et d’éducation, le musée joue un rôle important dans la société contemporaine. À Madagascar, il fait face à des défis notamment au niveau de la professionnalisation du personnel ou encore du trafic illicite comme le précise Bako Rasoarifetra, Maître de Conférences spécialisée en archéologie, muséologie et patrimoine, membre de l’Académie malgache et de l’ICOM (Conseil International des Musées).

Pouvez-vous nous donner la définition d’un musée ?
C’est une structure où le patrimoine matériel et immatériel est conservé, qui constitue les témoins de l’histoire. C’est un endroit où on effectue également des recherches. Ce n’est pas uniquement un lieu de visites, mais surtout un lieu de conservation, de  recherches pour apprendre et connaitre l’histoire. Un musée se doit donc d’avoir un centre de documentation. Selon la définition de l’ICOM, « Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances. »

Pour le cas de Madagascar, quand est apparu le premier musée ?
C’est un héritage colonial. Les premiers grands musées à Madagascar ont été créés durant la période coloniale. Jusqu’à ce jour, le musée du Palais de la Reine situé dans le Rova d’Antananarivo en tant que premier musée historique et ethnographique reste le visage emblématique des musées de l’île. Au lendemain de la colonisation en 1897, la cité royale fut transformée en musées avec tous les attributs royaux convertis en collections historiques. Mais la construction du Palais de la Reine en tant que musée ne fut effective qu’en 1937 avec l’apparition d’animations de musées par des visites guidées.

C’est le début de la professionnalisation du musée ?
Ce n’est qu’à partir de 1946 que la professionnalisation du musée s’affirme avec la conservatrice malgache Razafy Andriamihaingo qui s’est appliquée à mettre le musée aux normes par un inventaire méthodique des collections et des fiches d’enregistrement des collections. Elle a également mis en place des procédés modernes d’expositions et exige l’ouverture du musée au public malagasy si elle n’était auparavant, destinée qu’aux étrangers. Le Musée du Palais de la Reine a donc connu quelques réorganisations jusqu’au moment où un incendie a ravagé la cité royale en novembre 1995. 25% des collections qui ont été sauvées sont transférées et exposées au Palais du Premier ministre à Andafiavaratra, devenue musée historique depuis 1997.

D’autres musées se distinguent aussi par leurs collections minières…
Depuis 1923, le Musée National de la Géologie est le seul musée qui rassemble et expose les richesses du sous-sol malagasy. Les réserves renferment plus de 35 000 spécimens de variétés de minéraux, de minerais, de roches et de fossiles. La grande partie provient des campagnes de prospections et de recherches entreprises par l’administration coloniale ou des dons de l’extérieur. Des salles sont accessibles au public avec plus de 2000 échantillons exposés dans des meubles-vitrines massifs en bois. Ce musée joue également un rôle important dans l’assistance aux étudiants et chercheurs effectuant des travaux sur les substances minières de Madagascar.

Et leurs collections de faune et flore ?
Créé en 1925, le Musée du Parc de Tsimbazaza est affilié au parc botanique et zoologique de Tsimbazaza depuis 1993. Au début de sa création, il est constitué du Jardin botanique avec les plantes des flores malagasy et étrangère. Ensuite, il évolue en spécialités et en espace et devient un musée ethnographique et d’histoire naturelle. En 2004, l’inventaire du musée dénombre au total, 739 collections dont 510 ethnographiques et 229 d’histoire naturelle. Les touristes étrangers et les jeunes visiteurs sont surtout attirés par la section paléontologique avec ses fossiles et subfossiles ainsi que le parc zoologique avec les lémuriens, les crocodiles et les tortues.

Musée du CNRO
(Centre National de
Recherches Océanographiques)
à Nosy Be

La muséologie à Madagascar a connu un essor à partir de 1972 ?
Oui, deux paramètres ont amorcé le réel démarrage de la création de nouveaux musées à Madagascar. D’abord, la création en 1973 du Musée d’Art et d’Archéologie, à Isoraka sous la tutelle de l’Université de Madagascar. Dans le cadre de ses activités de recherche, il opte pour une politique de collecte d’objets ethnographiques et archéologiques et assure la conservation des collections. La vulgarisation se fait à travers des expositions et des conférences au niveau national et international. Grâce à la décentralisation de l’enseignement supérieur dans les cinq autres provinces, le musée, avec ses grandes expériences muséographiques, encadre les nouvelles universités pour la création de leur propre musée. On peut citer, par exemple, le musée CEDRATOM (Centre de Documentation et de Recherche sur l’Art et les Traditions Orales) de l’Université de Toliara qui a inauguré les premiers musées régionaux d’art et ethnographiques en 1984.

Mais également la mise en place d’une politique en matière de protection du patrimoine culturel ?
Oui, c’est le deuxième paramètre. Engagée par le Ministère de la Culture et des Arts Révolutionnaires ou MCAR dans les années 1980, cette politique encourage la création de nouveaux musées et la professionnalisation du domaine. Plusieurs sites historiques dotés d’infrastructures comme d’anciens palais ont été aménagés, entre autres, le musée ethnographique d’Ilafy en 1984 et le musée d’Ambositra Tompon’Anarana en 1985. Conscient de l’enjeu de la muséologie dans la valorisation du patrimoine culturel, le Ministère de la Culture a mis en place en janvier 1987, l’ICOMMAG, une branche régionale de l’ICOM International. Il regroupe tous les musées avec leur personnel respectif comme les enseignants, les chercheurs et les techniciens.

Avec la création de nouveaux musées, des défis sont à relever ?
L’un des principaux défis de la muséologie de Madagascar, c’est la professionnalisation du milieu  en respect du code de la déontologie muséale, de la formation ainsi que le renforcement de compétence du personnel. En participant à l’élaboration du Manuel des Normes (Documentation des collections africaines) en 1994 sous l’égide de l’ICOM, les musées malagasy s’efforcent de parachever leur inventaire, de l’informatiser dans la mesure du possible et de documenter leurs collections. Mais cette démarche est souvent freinée par le manque de budget et l’insuffisance du personnel. Il faut également renforcer la collaboration avec les structures nationales et les comités internationaux qui permettent, entre autres, de former des spécialistes en conservation.

Musée des Pirates à
Tsaralalàna (Antananarivo)

Musée de la Photographie de
Madagascar à Anjohy (Antananarivo)

De nombreux objets appartenant au patrimoine culturel malgache ne sont pas exposés à Madagascar. Y a-t-il des procédures pour la restitution de ces objets ?
Quand on parle de restitution, il faut savoir quelles sont les collections, quels sont les lieux de conservation et si nous avons les documents officiels pour prouver que les collections appartiennent à Madagascar. Par exemple, dans le document sur l’inventaire de collections en provenance de Madagascar au Musée du Quai Branly Jacques Chirac, des chiffres montrent la présence des biens culturels malgaches à l’extérieur au nombre de 3083 objets pendant la période coloniale et de 4196 objets après l’Indépendance. Mais, quelques objets ont déjà été restitués par voie diplomatique ou en collaboration comme la couronne du dais royal de Ranavalona III en novembre 2020 par la France.

Qu’en est-il du trafic illicite ?
En effet, Madagascar est sujet au trafic illicite. En 2021, nous avons participé au 50e anniversaire de la Convention de l’UNESCO de 1970 sur le thème de la lutte contre le trafic illicite des biens culturels. Nous avons fait un témoignage de Madagascar et nous avons essayé de montrer que le pays a ratifié les trois conventions de 1970 pour empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite de biens culturels, dit Convention 1970 ratifié en novembre 1987. Madagascar a également ratifié l’UNIDROIT 1995 en 2021 et récemment en 2022, nous avons signé une convention avec BAP (Brigade Anti-Piratage) et Interpol. Désormais, nous pouvons consulter les documents de l’Interpol au cas où il y aurait un objet volé. Au niveau national, pour la circulation des biens, nous avons les visas autorisons la sortie des biens culturels et des produits artisanaux et nous avons aussi un service autorisant les fouilles archéologiques.

Quelles sont les attentes du comité malagasy ?
Concernant le trafic illicite, nous pensons qu’il faut une prise de conscience de l’importance du retour des biens culturels chez les décideurs, les professionnels du patrimoine et la population entière pour affermir la souveraineté nationale. Également, l’harmonisation des cadres juridiques afin de mettre en œuvre efficacement les Conventions. Bien que l’État et la population ne soient pas encore convaincus du rôle de la muséologie dans la dimension culturelle du développement, l’ICOM Madagasikara a constaté la création de nouveaux « musées » privés qui ne suivent pas les normes. Le comité malagasy se propose de leur apporter conseils et assistance et par la même occasion, un renfort pour l’éducation muséale de l’ensemble de la population.

Propos recueillis par #AinaZoRaberanto

Contact : Bako Rasoarifetra : bakoarifetra@gmail.com

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