Amoron’i Mania : Sur la piste du toakagasy
29 décembre 2017 - Grand AngleNo Comment   //   3606 Views   //   N°: 96

Toaka, galeoka, tégé, tototàgnana, barisa, mafànafàna, mafidaka, gasigasy… Quelques exemples de petits noms sympathiques que l’on donne à ce rhum de fabrication artisanale qu’est le toakagasy. La région de l’Amoron’i  Mania en produit beaucoup, ses habitants en ont même fait le principal pilier de son économie. A quel prix ?

De tout âge, les acheteurs marchent d’un pas rapide, en petit groupe, 
et à la queue-leu-leu ; les bidons et bouteilles vides sur le dos.

Les premières gouttes du précieux liquide tant attendues sont arrivées. Les distilleurs s’activent à le goûter pour savoir et prévoir la qualité de la fournée.

Préparation d’un tronc de bananier qui servira de condenseur dans lequel la vapeur des foka (cannes à sucre fermentées) se transformera en toaka gasy.

Ramassage des foka (cannes à sucre fermentées) dans le hady Toaka.

Lorsque les foka commencent à fumer, les premières gouttes ne sont plus très loin. C’est là qu’ils s’activent à poser les lonaka pour les joints faits de fibres mouillées de bananier.

Ces acheteurs, effectuant un plus long trajet ramènent leur cargaison de cinquante litres dans au moins trente-trois bouteilles en plastique d’un litre et demi.

Durant le trajet retour, les acheteurs ont leur stock personnel, qu’ils boivent sur la route, au goulot. Pour se désaltérer, et surtout pour se donner du courage.

Ici, la forêt naturelle a cédé la place à des milliers de champs de canne à sucre. Ces plantes, une fois récoltées, sont découpées en rondelles fines et stockées dans un hadi-toaka (trou de un mètre de diamètre et de deux mètres de profondeur) pouvant avaler jusqu’à 30 entana (tas) de cannes. Les paysans travaillent les rondelles de canne avec des pilons pour en extraire le jus, accompagnées de feuilles de mazambody ou autres plantes en guise de ferment. Puis le producteur couvre le tout et le laisse macérer pendant au moins dix jours, en vérifiant de temps en temps si le jus ne déborde pas. Car le trop-plein collecté sera ajouté à l’eau de cuisson.

Un vallon encaissé, alimenté en eau par une source de faible débit, sert de distillerie. Il n’est besoin que d’une plate-forme d’environ 30m² sur laquelle les producteurs posent une barrique de 200 litres chauffée par un foyer en pierre, alimenté en bois ramassés aux alentours. Ce récipient est rempli de foka (rondelles de canne macérées) et d’une quarantaine de litres d’eau. C’est à cette étape de production que le bananier joue un rôle important. « On doit d’abord prendre  soin de bien colmater les fuites et fixer les joints avec les fibres mouillées de bananier ou  lonaka »,  explique Mbinina, le fils du propriétaire de l’ouvrage. Un couvercle en métal couvre le tout.  Un tronc d’arbre creusé dans lequel est inséré un tuyau en cuivre de trois centimètres de diamètre sert de condenseur. Un bout de bois fixé à l’un des bouts du tuyau conduit l’alcool vers le bidon de stockage. 

« L’opération s’arrête dès que le goalaka, le jus final de la distillation, est sorti, mais nous  ne gardons que le premier jus, haranany ou lohany (têtes), et le vatany (cœur) », poursuit le jeune homme. Selon lui, la présence de bulles, plus ou moins grandes selon la maturité de la canne à sucre, détermine la qualité du spiritueux : « L’utilisation du cuivre pour la récupération de la vapeur donne également un meilleur goût à l’alcool qui garde ainsi tout son parfum. »

Chaque famille de chaque village produit du toaka gasy et le vend aux distributeurs des villes et communes des alentours : Ambohimahasoa, Ambatofinandrahana, Manandriana, Sahave, Camp Robin. Certaines productions sont envoyées à Fianarantsoa et même à Antananarivo. Pour alimenter les marchés locaux, les revendeurs – certains n’ont pas plus de 12 ans – font de longs parcours de plusieurs jours : 13 litres sur la tête pour les plus jeunes, un bidon de 20 litres pour les jeunes filles et un de 25 à 55 litres pour les hommes, selon leur force. On amène aussi du riz ou des cochons qu’on vend dans les villages traversés.  « Le gain pour une cargaison est de l’ordre de 10 000 à 35 000 ar par bidon », explique Rakoto Lala, le beau-père de Mbinina, propriétaire d’un alambic artisanal.  

Sur le chemin du retour, les acheteurs-revendeurs doivent payer des « tickets », de soi-disant taxes de passage ou de sécurité (c’est selon) réclamées par les communes. « Ces tickets peuvent s’élever de 13 000 Ar pour un contenant  de 50 litres à 2 000 Ar pour un de 20 litres », confie Raboana, un vieux producteur. Le relief très accidenté de l’Amoron’i Mania rend l’agriculture très difficile et oblige à trouver d’autres sources financières pour sa subsistance. Le toaka gasy constitue ainsi une entrée régulière d’argent, pour ne pas dire un pilier de l’économie locale, vu le nombre constant d’acheteurs-revendeurs qui fréquentent les marchés. Mais il y a aussi les problèmes de santé publique liés à la consommation d’alcool qui touchent les zones de production. L’insalubrité des unités de production (même si l’alcool a des propriétés aseptiques), la précocité de l’âge des buveurs, l’absence de divertissement dans les villages éloignés, tout cela crée bien des dégâts parmi la population… Quelles que soient les appellations suggestives du toaka gasy, avec lui le réveil est toujours brutal.

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