Valentin n’a rien vu à Madagascar
27 juillet 2017 - À lire Cultures Livre du mois LivresNo Comment   //   2049 Views   //   N°: 90

Ce roman ne devrait pas avoir sa place ici. Raymond Queneau n’a pas la réputation d’avoir cultivé des liens avec notre île. Mais le personnage principal du Dimanche de la vie, le soldat Brû, prénom Valentin, est rentré récemment de Madagascar où il a passé cinq années.

Pourquoi Queneau, dans un livre publié en 1952 et qui se passe en 1937, fournit-il cette expérience à son héros ? La réponse se devine dans un dialogue avec Brodouga, ou Botucat, ou Bredouillat, ou Bodrugat, ou peu importe, son nom change tout le temps. Appelons-le Paul. Il s’intéresse, devant un vin blanc gommé, à la « campagne » que fit Valentin à Madagascar. Oui, répond le soldat : « Contre les Hain-Tenys Merinas. »

Hain-teny ? Merina ? Il y a là-dessous du Jean Paulhan, qui avait publié en 1913 des traductions de ces textes et que Raymond Queneau fréquentait chez Gallimard, leur éditeur et employeur commun.

L’ennemi désigné ne ressemble à rien de connu. En revanche, le clin d’œil amical est une évidence, à condition de l’apercevoir au milieu de la fantaisie de Raymond Queneau.

En cinq ans, Valentin n’a cependant pas appris grand-chose du pays où il a séjourné. Sur sa beauté, la platitude du commentaire est exemplaire : « Pas mal. Plutôt montagneux. » On note aussi la présence d’indigènes : « Ça, pour en avoir, il y en a. » Et les plantes ? « Beaucoup sont exotiques, dit Valentin. » A l’Exposition universelle qui se tient cette année-là à Paris, Valentin est bien sûr allé voir le pavillon de Madagascar, « mais je n’ai rien reconnu. Je me demandais même si j’y avais jamais fourré les pieds. » Ce qui n’empêchait pas les personnes qui l’accompagnaient de lui poser des tas de questions. « Par exemple, quelle est la différence entre un sakalave et un hova. Tu sais ça, toi ? » Pas lui…

Plus tard, une histoire lui revient, malgré tout :
« — À Madagascar, dit Valentin brusquement, on replante les morts.
— Quoi ? Firent les trois autres.
— On les enterre, dit Valentin, et puis au bout d’un certain temps on les tire de là et on va les enterrer ailleurs.
— Quels sauvages, dit Julia. »

Dans le roman, Madagascar est un espace aussi présent qu’absent. Valentin y revient sans cesse, ou on l’y ramène en tentant de lui faire raconter ce dont au fond il ne sait rien. C’est un point de repère, mais aussi flou que l’avenir. Valentin se verrait bien balayeur. Il trouve mieux : une mercière en quête de mari, qu’il épouse en même temps que la boutique. Les discours d’Hitler font craindre une nouvelle guerre, Valentin n’est pas mauvais en prédictions. Et, tandis que Queneau dynamite le langage à sa manière, unique, les personnages s’agitent comiquement dans leur bocal, endossant les rôles que les hasards de la vie leur prêtent.

Raymond Queneau, Le dimanche de la vie. Gallimard, « L’Imaginaire », 280 p., 9,50 €.

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