Tromba LES POSSÉDÉS D’ANKAZOMALAZA
13 septembre 2012 - TraditionsNo Comment   //   10529 Views   //   N°: 32

La pratique ancestrale de l’invocation des esprits (tromba) continue à irriguer l’ensemble de la société malgache. Plutôt que le médecin, le juge ou l’avocat, bien souvent c’est le « maître du tromba » qu’on consulte en recours ultime. Scène de possession ordinaire sur la colline sacrée d’Ankazomalaza.

Ranaivo est un mpitaiza (oracle) très puissant. Certains n’hésitent pas à venir de Toliara ou d’Antsiranana pour le consulter, tellement ses « communications avec l’au-delà » sont saisissantes. Le plus souvent ça se passe sur la colline sacrée d’Ankazomalaza, à une quinzaine de kilomètres de la capitale. Maladie, perte de boulot, problème de coeur… c’est son conseil qu’on vient chercher, ou plutôt celui du tromba (esprit) qui parle par sa bouche. Et pas n’importe qui ! Uniquement celui des rois défunts : Andrianampoinimerina, Ralambo, Ralaimaditra, le gratin de l’ancienne monarchie ! Intercesseurs auprès de Zanahary, la divinité suprême, ces razana (grands ancêtres) continuent à conseiller comme du temps de leur vivant, pourvu qu’on prenne soin de leur glisser en offrande quelques pièces, du rhum, des fruits, ou plus selon le service à demander.

Originaire des pays sakalava, le mot tromba désigne autant l’esprit qui se manifeste que l’ensemble des rites qui provoquent la possession. Au nombre de ces derniers, les chants et les battements de mains qui jouent un rôle capital dans la mise en condition du « médium ». À cet effet, un petit orchestre de trois musiciens – un accordéoniste et deux tambours – assiste Ranaivo tout au long du culte. 

Ce matin, ils sont une bonne cinquantaine à s’être déplacés à la colline d’Ankazomalaza. Des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des paysans, des urbains – tout le monde. Certains ont pris soin de se passer sur le visage une pâte faite d’argile blanche qui obéit à une fonction précise : éviter la contagion du tromba. « Il arrive que des esprits maléfiques s’interposent, les setoany (satans) comme on les appelle. Mieux vaut les tenir à distance », explique une vieille officiante, desséchée comme une momie et bardée de bracelets, de médailles, de chapelets ! 

Drapé dans son lambahoany (vêtement de soie traditionnel), Rainavo est comme absent de l’agitation ambiante. Indifférent au rythme entêtant des aponga (tambours), à l’odeur âcre de l’encens qui enfume la petite casemate où il officie. Soudain, comme sous le coup d’une inspiration, il saisit la bouteille de rhum posée à ses pieds : 70 cl avalés d’un trait en quelques secondes ! La musique s’accélère, les battements de mains s’amplifient, d’étranges incantations se font entendre : « Dis-nous ton nom, ô seigneur ! car nous désirons te demander conseil ». C’est le chant rituel du tromba (antsa tromba) afin que l’esprit manifeste sa présence.

Et voilà que la voix de Ranaivo devient rauque, son corps se raidit, ses yeux se révulsent… D’un geste, il ordonne aux musiciens de se taire : le tromba est en train de prendre possession de lui. « Pour quelle raison m’invoquez-vous ? Qu’avez-vous de si important à me dire ? », lance l’esprit. Frisson dans l’assistance, le ton autoritaire indique qu’il ne peut s’agir que du roi Andrianampoinimerina. Impossible d’espérer mieux ! 

« J’ai deux zébus qui sont morts la semaine dernière, quelqu’un m’a-t-il jeté un sort ? », s’enquiert un vieux paysan. Chacun y va de sa demande et le roi multiplie ses instructions. Aussi brusquement qu’il s’est établi, le contact avec l’au-delà s’interrompt. Les musiciens se remettent alors à jouer et Ranaivo tombe à terre, inconscient, le visage grimaçant de douleur. Ses assistants tentent de le réveiller. « Je ne me souviens de rien, que s’est-il passé ? », demande-t-il, comme s’il sortait d’un profond sommeil. Malgré la grosse quantité de rhum qu’il a absorbée, son regard est clair, son débit assuré… 

« Je n’ai pas choisi d’être mpitaiza, confie Ranaivo. Si j’ai ce don, c’est que j’ai parmi mes ancêtres des mpisikidy (devins) qui vivaient à la cour des rois. » Chrétien, et même membre du comité pastoral de sa paroisse de Faratsiho, dans le Vakinankaratra, il ne juge pas le tromba incompatible avec sa religion « officielle ». Beaucoup plus inquiétant, selon lui, la prolifération des imposteurs qui font ça pour l’argent et arnaquent les gogos. Pour les reconnaître, simple : « Le vrai mpitaiza n’accepte aucune enveloppe. L’argent et les offrandes sont destinés aux divinités pas à lui », assure Ranaivo. Alors possession, suggestion collective ou mise en scène ? Aleo mifanena amin’ny mpamosavy toy izay mifanena amin’ny mpandainga, mieux vaut faire la rencontre d’un sorcier que d’un menteur, répond un proverbe malgache. 
 

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