Trano-paty : La maison des morts
2 novembre 2015 - Archives Grand AngleNo Comment   //   4045 Views   //   N°: 70

Andry est garçon de morgue à l’hôpital HJRA de Tana. Un métier qu’il exerce depuis onze ans et qu’il espère transmettre à ses enfants, tout comme son père et son grand-père le lui ont transmis. Assister les médecins pendant les autopsies, recoudre les corps, s’occuper de la « maison des morts », Andry est conscient de faire un métier utile. 

Vendredi, 8 heures. Après un bouillon consommé vite fait sur le trottoir, Andry Randriambololona entame son service à la morgue de l’Hôpital Joseph Ravoahangy Andrianavalona (HJRA) à Antananarivo. Andry est un des deux garçons de morgue de l’établissement. C’est son job depuis onze ans. On s’y fait., la paye est attractive. Il ne se plaint pas.

La trentaine, assez costaud, il se sent d’attaque pour assurer la permanence pour les trois jours et trois nuits qui viennent. Il vient de passer ses trois jours de repos à suivre tranquillement des matchs de foot à la télé. La morgue, il n’y pense pratiquement pas en dehors du boulot. Une fois passé sous la douche et ses vêtements au lavage, l’odeur de chair putréfiée disparaît, il redevient un vivant comme le autres. Et même un bon vivant.

Entré par la grande porte de la morgue, côté nord, il remonte le long couloir ombreux, sifflant un air allègre, mais se ravise brusquement quand il voit dans la salle de gauche une jeune femme, la vingtaine, pleurant toutes les larmes de son corps, penchée sur le corps sans vie de sa petite soeur qui gît sur une table. « Décédée hier soir, un suicide probablement. Sa famille refuse qu’on l’autopsie », lui chuchote le collègue qu’il s’apprête à remplacer. Andry enfile sa tenue : une blouse et un pantalon bleu, ce qui lui donne

l’air d’un chirurgien. En plus de l’enregistrement des entrées, son travail consiste à s’occuper des cadavres, à les laver, les habiller et surtout à assister les médecins à l’autopsie. C’est-à-dire, retourner les corps, les recoudre après l’opération et injecter le formol. « Un sale boulot, j’entends dire souvent. Mais c’est juste un métier, comment tournerait le monde sans garçon de morgue ? »

Vers midi, deux jeunes médecins femmes en tenue arrivent. Elles sont là pour autopsier une femme décédée chez elle la veille sans avoir été malade. « L’autopsie est toujours utile. Pas seulement quand il y a une mort suspecte, mais aussi pour faire progresser la médecine », confie une des médecins. Sauf que l’autopsie ne peut être effectuée sans l’autorisation de la famille. « Nous incitons les parents du défunt à donner leur approbation, pour le bien de tous et le leur en particulier. Grâce à l’autopsie on peut trouver des pathologies héréditaires qui ne se voient pas autrement. »

Andry apparient à une lignée de garçons de morgue. Son père et son grand-père exerçaient avant lui. « Mon grand-père était employé à l’hôpital Befelatanana et mon père était dans l’équipe qui a ouvert le service de la morgue de la HJRA. Quelque part il était inscrit que je prenne la relève. » À force de pratiquer ce métier, il a fini par l’aimer. « Je me sens utile à la société », explique-t-il, occupé pour l’heure à suturer le thorax de l’homme que les deux médecins viennent d’autopsier. Il s’applique, il aime le travail bien fait et estime que c’est le moindre respect dû à ce corps inanimé qu’il a peut-être croisé vivant, hier encore. À croiser la mort au quotidien, on en devient forcément philosophe. En tout cas, on n’en apprécie que mieux la vie.

Quand il était petit, son père l’emmenait toujours à la morgue car il n’avait personne pour le garder à la maison. Aujourd’hui, lui aussi est un père de famille, il fait pareil avec ses enfants. Le week-end, quand il est de permanence, il emmène son fils de 9 ans avec lui pour pouvoir le garder tout en assurant son service. Et le petit s’est très vite accoutumé. Il déploie sa collection de petites voitures dans le long couloir ombreux, et peut jouer ainsi pendant des heures, indifférent à l’étrange ballet des vivants et des morts qui se joue autour de lui. À l’école, quand on lui demande la profession de son père, il répond juste « employé à l’hôpital », car il sait tout de même que la mort, vue de loin, reste un sujet tabou. Chaque jour, Andry enregistre en moyenne cinq cadavres. La plupart proviennent de l’hôpital-même, d’autres sont retrouvés chez eux ou dans les rues de la capitale. « On dépose ici les corps qui ne sont pas identifiés ou qui sont soumis à l’expertise médico-légale. » La morgue est dotée de neuf chambres froides où déposer provisoirement les corps, en attendant que les familles viennent les chercher. Si personne ne les réclame, ils seront enterrés au cimetière d’Anjanahary. Or beaucoup de morts ne sont pas réclamés, et les chambres froides sont vite saturées. Ils sont ainsi entassés jusqu’à trois par tiroir.

Les odeurs de putréfaction, Andry ne les remarquent même plus, les dissipant à coups de cigarettes. Mais ce n’est pas le cas des visiteurs, venus pour identifier ou récupérer un corps, qui se bouchent le nez avec un mouchoir ou le col de leur vêtement.

Le soir venu, Andry s’apprête à aller se coucher dans la petite chambre prévue à cet effet. Il allume la télé, s’allonge sur le lit, déjà très excité à l’idée de suivre un bon match de foot. « J’espère que personne ne viendra me déranger, j’aimerais bien avoir mon vendredi magnifique. » Il arrive en effet que des corps lui soient remis en pleine nuit. Sinon son sommeil est paisible. « La morgue est un endroit calme. Personnellement, je ne crois pas aux fantômes : en onze ans de service, j’imagine que j’aurais eu l’occasion d’en voir ! Les morts ne me font plus peur, même quand ils arrivent ici déjà décomposés. Dès que j’ai fini de m’occuper d‘eux, je les oublie, car la vie doit quand même reprendre son cours. »

#SolofoRanaivo
Photos : Arifidy Rafalimanana

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