Tiana Rabarison : « La spéculation fait grimper les prix »
7 août 2018 - ÉcoNo Comment   //   1700 Views   //   N°: 103

Madagascar connaît une hausse généralisée des produits de première nécessité (PPN). Tiana Rabarison, co-président de la Fédération des associations des consommateurs (FAC) et président de l’association Fimzompam nous en parle. Selon lui, si cette hausse continue, Madagascar risque l’explosion sociale.

Tiana Rabarison
Fédération des associations des consommateurs

L’augmentation des prix des produits de première nécessité inquiète les consommateurs…
Les prix des PPN comme le riz, la viande, le sucre ou encore l’huile, font grincer les dents de nombreux Malgaches. Sachant que le salaire minimum est de 140 000 ariary, les consommateurs ont un faible pouvoir d’achat. Ce sont, pourtant, des produits qu’ils doivent consommer tous les jours et dont la cherté fait mal au portefeuille. Cette année, le prix du riz atteint les 3 000 ariary alors que son prix normal doit être de 1 400 ariary, soit une hausse de 50 %. Le kilo du sucre atteint les 3 000 ariary au lieu de 2 000 ariary. Le prix de la viande de zébu frôle les 13 000 ariary le kilo alors que son prix normal avoisine les 10 000 ariary.

Paye-t-on le prix de la spéculation ?
Tout à fait. A Madagascar, il y a de nombreuses personnes malintentionnées qui profitent de la situation. La flambée des prix des PPN est due aux spéculateurs. Les grossistes et les importateurs font de la rétention de stock. Cette pratique se fait souvent à l’approche des fêtes. Ils gardent les produits pendant des mois dans leurs entrepôts.

Ils doublent et triplent même leur prix une fois qu’ils les sortent sur le marché. Il y a ensuite une entente illicite sur le prix de ces produits. Voilà pourquoi, nous avons une uniformisation des prix élevés.

Quelles sont les autres causes de l’inflation ?
La hausse des prix des PPN dépend aussi de l’augmentation du prix des produits pétroliers. Le prix du gasoil influe beaucoup sur le coût de production et de transport des PPN. En effet, lors des productions, on utilise du gasoil pour faire marcher les machines agricoles. On les transporte ensuite pour les vendre. Plus le gasoil est cher, plus les prix des PPN augmentent. En 1997, le prix au litre du gasoil était de 340 ariary, aujourd’hui, il est de 3 400 ariary, soit dix fois plus cher. Nous avons fait une manifestation auprès du ministère de l’Eau, de l’Energie et des Hydrocarbures à Ampandrianomby pour réclamer la baisse du prix du carburant en décembre 2017. Nous sommes convaincus que l’Etat est tout à fait en mesure de le faire.

Comment baisser le prix du carburant ?
C’est une question de volonté politique. Avant l’an 2000, il a été possible d’avoir le prix du litre du carburant à 340 ariary. La gestion des produits pétroliers avait été confiée à la compagnie nationale pétrolière Solitany Malagasy (Solima) de l’époque. Le prix du gasoil était contrôlé par l’Etat et les taxes ont été allégées. Tous les PPN étaient moins chers. Après un changement de régime, le prix du carburant a commencé à augmenter. Il a atteint les 1 000 ariary le litre en 2004 (soit le double) et ne cesse d’augmenter jusqu’à aujourd’hui. Pour cause, le gouvernement de l’époque a libéralisé le secteur pétrolier. Les privés, majoritairement étrangers, ont le monopole de la filière pétrolière. Ce sont eux qui établissent les prix. J’ai l’impression d’ailleurs que nous sommes contrôlés par les étrangers. On veut peut-être que les Malgaches restent pauvres pour mieux les gérer.

Vous parlez d’une concurrence déloyale en matière d’importation. Pourquoi ?
D’après la loi sur la concurrence, l’importation systématique de l’étranger nuit à l’amélioration de la production locale. Il est à noter que 70 % des produits consommés à Madagascar sont importés. C’est anticoncurrentiel. Aujourd’hui, les PPN importés sont moins chers que ceux fabriqués par les entreprises locales.

En effet, certains importateurs commandent des produits presque périmés en raison de leur bas prix. Une fois les produits arrivés à Madagascar, ils falsifient les dates de péremption pour les commercialiser. Ils font aussi des fausses déclarations pour alléger les charges fiscales et douanières pour arriver à baisser encore plus les prix de vente. A causes de ces pratiques frauduleuses, les produits locaux ne pourront jamais concurrencer les produits importés. Pourtant, si la volonté y est, nos productions de PPN suffisent à nous-mêmes.

Que fait le ministère du Commerce et de la Consommation face à tout cela ?
Le ministère ne maîtrise pas le contrôle des produits. Il devrait approfondir les enquêtes sur le prix, la péremption des produits, les conditions dans lesquelles ils sont vendus, etc. Il en va de la santé des consommateurs. Si cela était fait, on ne verrait plus des marchands ambulants vendant des PPN dans des endroits insalubres et pas du tout hygiéniques. Par ailleurs, le ministère a déclaré mener des missions contre la rétention de stock des produits. Malheureusement, jusqu’à présent on ne voit pas les résultats de leurs actions. Les rétentions de stock continuent à se pratiquer clandestinement causant ainsi l’inflation des prix.

Quelles sont les actions de la Fédération des associations de consommateurs ?
Notre mission est d’établir le dialogue avec les décideurs au pouvoir. Nous mobilisons aussi les consommateurs via les réseaux sociaux et mailing. Nous avons fait, par exemple, une manifestation avec les transporteurs en commun, en juillet dernier, pour faire baisser le prix du carburant. Aucun bus n’a roulé la plupart des gens ont marché à pied. Nous avons démontré notre mécontentement vis-à-vis de l’instabilité du prix du carburant.

Où en est la loi sur les garanties et la protection des consommateurs ?
Son décret d’application tarde encore à venir. La loi n° 2015-014 sur les garanties et la protection des consommateurs n’a été adoptée qu’en 2015 alors qu’on se bat pour la promulguer depuis 1995. Avec un décret, la consommation à Madagascar se porterait mieux. Les consommateurs seraient plus exigeants sur leur droit de consommer des PPN de qualité, à des prix stables et non périmés. Tout un combat à mener.

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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