Sens plastique : Fragments de nuits
12 septembre 2016 - Cultures Sens plastiqueNo Comment   //   3003 Views   //   N°: 80

Ils sont quatre, plus deux. Quatre avec chacun un boîtier en bandoulière, parachutés dans ce bout du monde choisi par le cinquième. Il l’avoue sans précaution, les envoyer dans un cul-de-sac, c’était bien son idée. Ils en retireront des fragments du territoire, des bouts d’impasse, des lambeaux de désert. L’an dernier, les photographes réunionnais s’étaient perdus au Tremblet, entre coulées de lave et falaise, entre pluies incessantes et torpeur permanente.

En 2016, la revue Fragments saute la mer, direction Diego Suarez – c’est pas au Mexique ça ? -, destination Antsiranana, la ville où il y a beaucoup de nanas. Rade terminus, ainsi qu’elle fut déjà nommée. Une ville qui se vit d’abord la nuit, échapper aux odeurs du jour, à ses luminances traîtresses. Le sixième est écrivain, il va tenter de les suivre et de poser des mots sur leurs errances. Il va falloir se coucher tard, survivre aux ambiances surchauffées, et se lever tôt, tenir le cap à l’abattoir. Il va falloir faire sien le quotidien de Ziggy qui dépèce ses matins et fait vibrer ses nuits. Il va falloir faire connaissance, en un temps pourtant limité. Heureusement, Flavio et Sophie tendent des clés qui ouvrent toutes les serrures, et leur Terrasse du voyageur est une source inépuisable. 

Heureusement, Flavio et Sophie tendent des clés qui ouvrent toutes les serrures, et leur Terrasse du voyageur est une source inépuisable. Heureusement, les Diégolais sont ouverts à la prise de vue, et à la discussion. Heureusement, à Diego, on se rassemble volontiers devant les images projetées sur les façades et on n’hésite pas à se saisir du micro, puisqu’il faut faire la fête ensemble.

Quelques mois plus tard, la revue Fragments est là, une fenêtre volontairement subjective, dans laquelle les ombres saturent l’objectif. Les quatre aux boîtiers se nomment Rijasolo, Henintsoa Rafalia, Hippolyte et David Lemor, ils viennent de Madagascar, de La Réunion, de Mayotte. Romain Philippon, le cinquième, leur a fait ce cadeau d’un moment à partager, d’une revue à investir. Johary Ravaloson, le sixième, a récolté et rendu les mots.

Ils ont arpenté la cité, retenu ses plis, ses turpitudes. Ce qu’ils ont vu ne va pas forcément plaire aux offices de tourisme. Ils sont entrés dans les chambres, ont écouté les voix qu’on n’entend guère, celles de la nuit, celles de l’asile, celles de la geôle. Quand on s’énonce Le Mort, on ne fraye pas avec les vivants ordinaires. Ce qu’ils ont entendu ne vous emmènera pas au paradis, mais si vous y êtes sensible, vous pourrez suivre les Diégolais sur leurs chemins de rêve, ils sont nombreux, nichés dans les boules de khat. « Comme partout, il y a des amoureux, des flambeurs, des érudits, des entrepreneurs, des profiteurs, des jouisseurs, des honnêtes hommes, des femmes fidèles, des allumeuses, des allumeurs de réverbères […] »

La revue Fragments est là, mate et douce, parfumée de neuf.
La ville vous paraîtra peut-être ténébreuse, c’est que les photographes ont fixé ses noirceurs. Elle vous paraîtra peut-être dure, c’est qu’ils ont été impressionnés par sa force. Elle vous apparaîtra forcément belle, car ils l’ont aimée. Venez la découvrir ce mois-ci à l’IFM d’Antananarivo.

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