Pierre-Yves Manguin et Rafolo Andrianaivoarivony : Le passé doit avoir un avenir
5 janvier 2018 - TraditionsNo Comment   //   3980 Views   //   N°: 96

L’histoire de Madagascar et plus précisément celle de son peuplement ont toujours été un sujet de discussions. D’où viennent les Malgaches ? Sont-ils Africains, Indonésiens ? A l’issue du Symposium international d’histoire, de civilisation et de culture à Madagascar qui s’est tenu au mois de novembre dernier, des recommandations ont été faites. Les professeurs Pierre-Yves Manguin, professeur émérite de l’École française d’Extrême-Orient, et Rafolo Andrianaivoarivony, docteur et chercheur en archéologie et ethnographie, nous éclairent.

Quels étaient les objectifs de ce symposium ?
Pierre-Yves Manguin : Il s’agissait de mieux comprendre les relations entre Madagascar et l’Asie du Sud-Est puisqu’il fut un temps en France où les spécialistes de Madagascar et de l’Asie du Sud-Est travaillaient ensemble dans les mêmes laboratoires de recherches. Mais nous nous sommes séparés depuis pas mal de temps et nous n’étions plus au courant des dernières recherches menées par chaque groupe.
Rafolo Andrianaivoarivony : Il y a eu des chercheurs de plusieurs régions du monde qui ont pu se rencontrer lors de cette conférence internationale, c’est une très belle percée. Nous avons pu discuter, échanger sur le plan scientifique et émettre des réflexions et des idées. De telles assises scientifiques et internationales s’accompagnent toujours de recommandations. Il était question de considérer l’histoire de notre pays comme une histoire sur la longue durée et ne plus se cantonner à des références sur 200 ou 300 ans alors que nous pouvons reculer et faire démarrer la présence de l’homme à Madagascar dès la Préhistoire, au troisième millénaire avant notre ère.

Des éclaircissements ont été apportés sur les origines du peuplement de la Grande Ile…
Rafolo Andrianaivoarivony : Il s’agit de considérer que nous, habitants de Madagascar, sommes les descendants de différentes arrivées, particulièrement en provenance de l’Afrique orientale toute proche et de la lointaine Austronésie, c’est-à-dire la région de l’Océanie avec les îles de l’Indonésie, Bornéo, Nouvelle-Guinée, Célèbes, Florès… En regardant nos visages respectifs, nous avons des traits similaires aux habitants de l’Asie du Sud-Est.
Pierre-Yves Manguin : Le peuplement de Madagascar est complètement attesté par la linguistique, la génétique et l’ethnographie. La population de l’île est très largement constituée par des apports qui sont venus d’Asie du Sud-Est, mais pas uniquement. Par exemple, la langue malgache est une langue austronésienne comme le javanais, le malais ou le balinais. Comme je travaille essentiellement sur l’Asie, nous avons amené nos connaissances sur ce monde, notamment sur les navires car depuis une vingtaine d’années en Asie du Sud-Est,

par l’archéologie et l’histoire des textes, nous avons réussi à déterminer que ces populations-là avaient des navires de très forts tonnages qui traversaient l’océan Indien depuis très longtemps. C’est probablement ces navires-là et non pas les petites pirogues à balanciers qu’on met souvent en avant qui étaient utilisés pour ces traversées dans l’océan Indien jusqu’à Madagascar. À partir du moment où l’on parle de gros navires qui transportent des milliers de personnes, ça change la donne. On ne connaît pas tout les détails mais on progresse dans cette direction qui était ignorée jusque-là.

Des projets seront également mis en place ?
Rafolo Andrianaivoarivony : Nous allons créer un réseau scientifique à travers un site web ainsi qu’un fond qui permettra aux chercheurs et aux étudiants de poursuivre leurs recherches respectives. Il y aura la création d’un musée national de Madagascar. Il fut un temps où ce musée national devait être installé au Palais d’Andafiavaratra ensuite au palais d’État d’Ambohitsorohitra mais vu les événements politiques, rien n’a été fait. Maintenant, c’est une nécessité car même des pays qui n’ont pas la profondeur de notre histoire, possèdent un musée national. Il y aura les collections à la fois archéologiques mais aussi ethnographiques, c’est-à-dire celles qui sont encore visibles aux marchés ou chez les particuliers. Sans oublier le savoir, qui est immatériel mais qui doit être retranscrit comme les traditions orales, les moeurs, les coutumes qui pourraient constituer le fond de ce musée national. Ce n’est pas le savoir-faire qui nous manque, c’est seulement la volonté ! L’histoire, c’est la base. Il faut que le passé ait un avenir.

Propos recueillis par #AinaZoRaberanto

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