Philippe Murcia : « Madagascar à nouveau dans la course »
3 mars 2015 - Éco SociétéNo Comment   //   6772 Views   //   N°: 62

Ancien directeur général du Port d’Ehoala à Tolagnaro, Philippe Murcia dirige aujourd’hui sa propre agence de conseil… une autre manière de tenir le gouvernail. Son regard est fixé sur la nouvelle distribution des flux internationaux dont Madagascar devrait profiter, estime-t-il. 

Ocean Company Consulting est une suite logique ?
Certainement. Quand on a travaillé longtemps pour de grandes multinationales, à un moment donné on a envie de partager ce qu’on a appris au fil des décennies. On se dit qu’on serait peut-être plus utile à transmettre ses acquis à différentes sociétés. L’avantage du consulting est qu’on travaille en simultané pour plusieurs sociétés, publiques et privées. Je me sens ainsi comme un des maillons contribuant au développement du pays. Ocean Company Consulting a dans son équipe des experts, consultants de haut niveau comme l’ancien viceprésident développement de Rio Tinto pour l’Afrique sub-saharienne Guy Larin et l’ancienne représentante de la Banque africaine de développement Sylvie Anne Conde, entre autres. Nous conseillons les décideurs. Pour nous, c’est un privilège de pouvoir leur montrer la voie vers la réussite.  

Concernant le pays, en fait, en ce moment même, Madagascar peut déjà voir la lumière au bout du tunnel. Plusieurs signes précurseurs le montrent.

Madagascar revient dans la course ?
Madagascar avait perdu de son importance géostratégique à cause de l’ouverture du canal de Suez, en Egypte, en 1869. Les navires ont pu pendant plus d’un siècle aller d’Europe en Asie sans avoir à contourner l’Afrique comme c’était le cas jusqu’alors. Mais depuis une quinzaine d’années, on assiste à un développement phénoménal des échanges entres les pays appelés les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), lesquels ne passent plus par le canal de Suez mais directement par le cap de Bonne-Espérance, la pointe la plus au sud de l’Afrique. Ainsi, idéalement, Madagascar se trouve de nouveau sur la carte des échanges internationaux maritimes. On est même au premier plan. Et mon intime conviction est que le port de Toamasina va jouer un rôle très important dans les années à venir. D’abord parce qu’il y a la réhabilitation proposée par le gouvernement japonais : les infrastructures vont être mises aux normes internationales, notamment pour la profondeur, et le port va pouvoir accueillir des navires de grande capacité. Avec le potentiel que possède Madagascar, nous ne pouvons que profiter de cette redistribution des cartes. Mais la condition sine qua non est que tous les problèmes techniques soient résolus.

Quel diagnostic portez-vous sur le port d’Ehoala, dont vous avez été le premier directeur général ?
Il ne tourne toujours pas à plein régime, mais il a quand même réalisé des exploits depuis son ouverture. C’est une infrastructure ultramoderne qui a permis de booster l’économie locale. Un rapport de l’EDBM (Economic Development Board of Madagascar) établit que le port a créé 57 000 emplois dans cette partie du sud de Madagascar. L’ouverture du port a profité à l’exploitation de la langouste, du sisal, du mica et du ricin. Une société de Fort-Dauphin, productrice d’huile de ricin, a créé 6 000 emplois à elle toute seule : cela est aussi dans l’intérêt des paysans qui récoltent les graines de cette plante. À noter que l’activité de QIT Madagascar Minerals (QMM), filiale de Rio Tinto, ne représente que 10 % de l’activité totale du port. Les 90% sont des activités liées aux navires porteconteneurs, aux bateaux de pêche ou de carburant qui font escale à Tolagnaro. La plus grosse activité démarrée à Ehoala reste cependant celle des navires de croisière. En trois ans, le port a dépassé les 10 000 passagers, c’est-à-dire autant de touristes pour la ville, un chiffre quand même énorme pour un nouveau port ! Le port d’Ehoala a même été qualifié de success story dans un rapport d’un panel indépendant remis à la Banque mondiale à Washington, et toutes ces avancées ont été réalisées dans un contexte de crise politico-économique.

Que faire pour rentabiliser Ehoala ?
Le port d’Ehoala a énormément de qualités. Il est ultramoderne, tout est aux normes internationales. Sachez que son ouverture officielle était attendue impatiemment par les armateurs. L’ouverture a eu lieu le 8 juillet 2009, et dès le lendemain un premier navire de la CMA CGM venant directement d’Asie accostait déjà. Mais le plus urgent, c’est la route. Il faut absolument que l’axe routier Fort-Dauphin-Ambovombe se fasse, cela fera enfin venir les investisseurs dans les 400 hectares d’Ehoala Park mis à leur disposition. Pas de routes signifie aussi pas de touristes à l’intérieur des terres, je pense à tous ces croisiéristes qui se limitent à Fort-Dauphin. Le partenariat public-privé (Rio Tinto PIC Banque mondiale) a investi beaucoup d’argent dans ce port par rapport à ce qu’il rapporte aujourd’hui, ce qui correspond à une mission de service public Mais ce que nous avons fait à Ehoala, je trouve que ce serait formidable de le faire à Toamasina : ce grand port de la côte Est a beaucoup d’atouts par rapport aux autres ports de l’océan Indien, il lui manque la mise aux normes internationales de ses infrastructures. Ce qui est heureusement en bonne voie.

Ouverture port d’Ehoala : juillet 2009
Investissement QMM-Rio Tinto :
240 millions de dollars
Caractéristiques techniques :
Port en eaux profondes (15,75 mètres) avec un brise-lames de 625 mètres Zone industrielle de Ehoala Park : 400 hectares
Nombre d’emplois créés :
27 000 (durant les trois premières années seulement)
Nombre de touristes :
10 000 de 2009 à 2012 ; environ 20 000 en 2013-2014.

Bilan des activités portuaires 2014 :
• 11 escales de navires minéraliers
• 30 escales de navires porteconteneurs
• 17 escales de navires pétroliers
• 94 escales de navires de tous types
• 6 548 containers import/export
• 8 escales de navires de croisière avec 9 981 passagers 

Propos recueillis par #SolofoRanaivo

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