Patrice Canabady
2 juillet 2014 - TraditionsNo Comment   //   3444 Views   //   N°: 54

L’ombre de Ratsitatane

Le prince malgache Ratsitatane est une figure historique à l’île Maurice, mais un parfait inconnu chez nous. Décapité en 1822 par l’autorité coloniale, il symbolise pour beaucoup la rébellion et la lutte pour la dignité des esclaves. Le réalisateur mauricien Patrice Canabady qui lui consacre un documentaire est parti sur ses traces dans la Grande Ile. 

A l’île Maurice, Ratsitatane est un nom qui est sur toutes les lèvres. Des rues et mêmes des pièces de théâtre lui sont dédiées. Rien de tel à Madagascar, son pays d’origine, où il reste un parfait inconnu. Pourquoi un tel honneur ? « Il symbolise à nos yeux le marronnage. Ainsi appelait-on le fait de refuser l’asservissement colonial, quitte à aller se réfugier dans les montagnes pour mener de véritables guérillas contre l’occupant », répond le réalisateur mauricien Patrice Canabady qui est en train de finaliser un documentaire vidéo sur ce personnage hors du commun. Il était à Madagascar en mai dernier pour tenter de retrouver les traces de celui qu’on présente généralement comme un prince de sang, et même un neveu de Radama Ier.

D’après le peu d’archives dont on dispose, on sait que Ratsitatane fut déporté en 1822 à l’Ile Maurice, au bagne de Port-Louis très exactement, pour avoir tenté de tuer un agent du gouverneur général de Maurice, Sir Robert Farquhar. Il sera décapité à Plaine Verte, quartier de Port-Louis, en avril 1822, ce qui a donné naissance à quantité de légendes quant au lieu où se trouverait le crâne de Ratsitatane.

C’est en écoutant une chanson du Mauricien Kaya, dont la mort suspecte en cellule policière en 1999 allait provoquer d’énormes troubles parmi la population de l’île, que Patrice Canabady décide de s’intéresser de plus près à Ratsitatane. Le chanteur de seggae (mélange de séga et de reggae), en qui certains voient un Ratsitatane moderne, avait d’ailleurs formé un groupe qui s’appelait… Racinetatane. « Notre histoire coloniale a été racontée par les Anglais ou les Français, mais il est clair que cela pipe les dés. Par exemple, Ratsitatane est présenté comme un vulgaire criminel du fait même qu’il a été jugé par la Cour britannique de l’époque. En fait, son dossier est en passe d’être revu par une Commission Justice et Vérité qui travaille dessus depuis trois ans. »

C’est dans le cadre de cette réhabilitation du personnage de Ratsitatane que Patrice Canabady a entrepris son documentaire.

« Je suis redevable aux travaux de certains historiens mauriciens comme Norbert Benoit ou Issa Asgarally qui a consacré sa thèse à Ratsitatane, mais ce que j’apporte en plus, c’est cette enquête sur le terrain, à Madagascar même.

Elle me permet d’apporter des éléments nouveaux au dossier, dont certains vont peut-être faire grincer des dents… »

Entre autres surprises, on y découvre que Ratsitatane n’était peut-être pas le prince qu’on a dit, mais bien un roturier issu d’une famille qui se serait enrichie dans le commerce des esclaves venus d’Afrique, qu’on envoyait ensuite à l’île Bourbon (La Réunion) ou à l’île de France (Maurice). « Une activité qu’on n’aime pas toujours évoquer à Madagascar, mais je crois qu’il est temps de se dire les choses comme elles ont été », estime le réalisateur. Son documentaire de 26 minutes qui se veut très didactique, notamment en direction des jeunes générations, intègrera une reconstitution illustrée par un bédéiste mauricien. Sortie mauricienne prévue d’ici la fin de l’année. 

 

Patrice Canabady : canaprod@yahoo.fr

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