Nour, 1947
28 juin 2017 - À lire Cultures Lire Livre du mois LivresNo Comment   //   2429 Views   //   N°: 89

Nour, 1947
1947, version âpre et poétique

Le premier roman de Raharimanana, paru en 2001, vient d’être réédité. Nour, 1947 affiche dès le titre la date des événements qui embrasèrent Madagascar et firent, colonisés contre colonisateurs âpres à la répression, plusieurs dizaines de milliers de victimes. Raharimanana avait montré déjà dans ses deux premiers ouvrages, des recueils de nouvelles (Lucarne et Rêves sous le linceul), que la vérité passait pour lui par les mots et les songes, plus que par une vision réaliste. Il l’a plusieurs fois confirmé depuis et, si l’on découvre aujourd’hui Nour, 1947, on n’est pas surpris d’y trouver la version poétique, incantatoire et polyphonique d’une page historique douloureuse.

Aux yeux de l’écrivain, la douleur s’inscrit tout droit dans le cœur et dans la chair des hommes, des femmes, des enfants. Ni abstraction, ni simplifications. « Raconter ces déchirements sur nos propres terres, ces contradictions, ces rêves aussi… »

En sept nuits de novembre 1947, un irrépressible bouillonnement s’empare de l’esprit de Nour, sur une petite île au large de la Grande Île sur laquelle se réorganisent pour lui – et pour nous – les épisodes d’un passé où les Européens ne furent pas les premiers à apporter la violence, où l’esclavage a pris bien des formes, où les différents peuples n’ont pas toujours connu l’harmonie qui les aurait réunis en une nation. « Ceux-des-savanes ont razzié à l’intérieur des terres et emmené esclaves et bétail. Ceux-des-cimes ont tant étendu leurs pouvoirs qu’ils ont imposé dîmes et travaux forcés. » En contrepoint, des journaux de missionnaires disaient, bien avant 1947, leurs absurdes certitudes, leurs convictions aveugles. Raharimanana tisse un réseau serré de mailles dont aucun élément n’est étranger aux autres et où tout participe à la grande folie des hommes.

Nour, 1947 n’est pas un roman qui se donne au premier lecteur distrait venu. Pour entendre ce qui s’y dit, et comment cela se dit au travers de mélodies diverses, répondant de loin en loin les unes aux autres, construisant un jeu d’échos assourdissant à tel point qu’on ne peut pas ne pas l’entendre si l’on s’est ouvert les oreilles, il faut se placer en état de réceptivité totale, entrer dans les phrases et les images, accepter de se laisser porter au risque d’en être ébranlé sans sa raison même.

« Je vous livre cette histoire troublante et n’ayez à me juger si elle heurte votre âme. Les hommes ont à parcourir des sorts qu’ils n’ont choisis et bien souvent empruntent-ils des chemins étranges pour les défléchir. » Sur les chemins tortueux où nous entraîne Raharimanana, la surprise est au détour de chaque page, renforcée par une langue inventive et prégnante.

Ed. Vents d’ailleurs, 192 p., 18 €.

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