Mpaka fako : Sale boulot
1 avril 2015 - Archives Grand AngleNo Comment   //   2962 Views   //   N°: 63

Deux milles tonnes d’ordures à enlever chaque jour. C’est la tâche qui incombe aux 172 « mpaka fako » (éboueurs) de la capitale. Epluchures, cadavres de chien, foetus humains, parfois un bijou, c’est comme une réduction fétide de la société qu’ils brassent à longueur de journées. 

Vendredi 13 mars, 7 heures du matin. Nous sommes dans la grande cour du Mikoja, le bureau annexe et point de ralliement des éboueurs du Samva (Service autonome de maintenance de la ville d’Antananarivo), un établissement public à caractère commercial placé sous l’autorité de la Commune Urbaine. Ils sont 172 aujourd’hui, vêtus de combinaisons usés, un râteau ou une fourche à la main, prêts à ramasser les 2 000 tonnes d’ordures ménagères qui les attendent. « C’est le volume moyen quotidien des ordures à Tana. Mais aujourd’hui, il y a trois fois plus de déchets car à cause de problèmes techniques, cela fait trois jours qu’on n’a pas pu faire de tournées », explique Nestor, responsable au Samva.

Après le pointage, les éboueurs se rangent par équipes de cinq. Chaque groupe rejoint son camion et saute à l’arrière. Et c’est parti pour une journée de 24 heures, que ponctuera ensuite une journée de repos.

Christian, 32 ans, est un de ces mpaka fako (littéralement débarrasseurs d’ordures). Il fait ce travail depuis déjà six ans, pour une paye d’à peine 200 000 Ar par mois. Mais il ne se plaint pas. « Beaucoup de gens pensent que c’est un boulot honteux parce que salissant, mais moi j’estime qu’on est vraiment utiles. Une semaine sans éboueurs et la ville serait recouverte d’une marée d’ordures.», lance-t-il, en tirant sur sa cigarette.

8 heures, le camion plonge vers les quartiers populeux de Manarintsoa-Isotry, Bekiraro et Ankasina. Dans ces secteurs, les ordures occupent déjà toute la largeur du trottoir. Les riverains se plaignent auprès des éboueurs qu’ils ne soient pas passés depuis trois jours. Comme si c’était de leur faute ! Christian subit les remontrances, trouve même moyen de sourire, tout en prenant à pleines mains ces tombereaux d’ordures.

Il lui arrive de faire des découvertes. Comme cette montre qu’il glisse dans sa poche. Un de ses co-équipiers vient, lui, de dénicher un tournevis apparemment neuf.

« On trouve de tout : des téléphones portables, des bijoux, des billets de banque. Une fois, un collègue est tombé sur une somme de 300 000 Ar emballée dans un sachet en plastique. Le veinard ! » C’est un peu la compensation de ce métier pénible, le privilège des éboueurs. Même les conducteurs de camions, dans l’ensemble mieux payés, n’ont pas le droit d’aller fouiller dans les ordures. Mais il y a aussi le revers de la médaille. « Des fois, tu tombes sur un truc visqueux, c’est un foetus humain ou un cadavre de chien… »

Après trois ramassages, l’équipe décide de prendre un petit casse-croûte. Il est presque midi. Le chauffeur gare son camion devant une gargote à ciel ouvert et chacun se commande un bol de manioc à 100 Ar. Puis un deuxième, un troisième, un quatrième… Pelleter des ordures est un travail physique et usant, d’autant qu’ils ont devant eux une journée de 24 heures. L’odeur fétide qui leur colle à la peau ne les empêche pas de prendre goût à ce qu’ils mangent.

14 h 30 – après cinq points de ramassage, le camion est plein. Cinq tonnes de déchets qu’il faut maintenant amener au dépotoir d’Andralanitra. L’odeur est épouvantable, mais les gars ont l’habitude. « On ne tombe plus malades. On est immunisés contre la diarrhée et toute autre maladie due aux microbes qu’on avale ou qu’on respire », commente Christian. Ce qu’ils redoutent le plus, ce sont les objets tranchants qui se trouvent souvent parmi les ordures et peuvent gravement blesser.

Arrivé au dépotoir, c’est la consternation. Une vingtaine de camions chargés d’ordures font la queue devant eux. Ca va prendre des heures et des heures pour décharger tout ça, d’autant que les quatre bulldozers et deux tractopelles chargés de pousser les déchets sont en panne depuis 48 heures. « Je crains que ce ne soit pas pour aujourd’hui. Le mieux et de laisser le camion ici et de rentrer à pied », lance Ndriana, le chauffeur.

Normalement, chaque équipe doit accomplir en 24 heures cinq allers-retours au dépotoir d’Andralanitra. Mais techniquement, cela n’est pas possible, en grande partie à cause des embouteillages dans la capitale et de la vétusté des véhicules continuellement en panne. « C’est à peine si on arrive à faire deux ou trois voyages en 24 heures », commente Christian en sautant du camion. Une longue marche à pied les attend jusqu’au QG. Foutu métier. 

Texte : #SolofoRanaivo
Photos : #Parany 

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