Mont Kalambatritra : Trek en « zone rouge »
3 janvier 2015 - EscalesNo Comment   //   2161 Views   //   N°: 36

Bien avant que la région de Betroka ne défraie la chronique, nous avions sillonné une des régions les plus isolées de Madagascar pour le compte de Conservation International qui ambitionnait de classer les pentes du Mont Kalambatritra, situé exactement à l’intersection du tropique du Capricorne et des régions Anosy et Ihorombe. Souvenirs inoubliables d’une épopée « haute en couleurs ». 

En arrivant à Betroka, les autorités rencontrées nous avaient vivement conseillé d’être accompagnés de gendarmes. Moins vis-à-vis des dahalo (bandits de grands chemins) que… des planteurs de cannabis très nombreux dans ces zones enclavées disposant d’un microclimat particulièrement propice à la culture du chanvre indien. C’est donc sous bonne escorte, après avoir recruté des porteurs et acheté les victuailles nécessaires à quelques jours de treks (poules vivantes, riz…), que nous filons plein Est à partir du village d’Ivahona et ses belles demeures en pisé. Au bout de quelques kilomètres, les représentants de la marée chaussée nous signifient clairement qu’ils ne pourront poursuivre plus longtemps avec nous : « Trop dangereux. Vous serez plus en sécurité sans nous, à condition de cacher vos matériels afin qu’ils ne soient pas confondus avec des armes ».  

C’est donc livrés à nous-mêmes que nous poursuivrons à travers collines et bas-fonds rizicoles en direction du Mont Kalambatritra. Première nuit sous les tentes plantées au coeur d’un hameau entre les cases traditionnelles. Toute la nuit, les coqs nous maintiendront éveillés, attirés qu’ils sont par ces poules venues de la ville ! Avant de reprendre la piste, petit décrassage au bord d’un cours d’eau où une espèce d’autel est dressé. Il s’agit en fait du lieu où les malades viennent se voir prescrire par le sorcier du village quelques décoctions agrémentées d’incantations et bien souvent de… l’extrême-onction. Nous commençons à réaliser, à l’aube du deuxième jour de marche, que nous sommes loin de tout. Plus d’école, plus de dispensaire, plus de piste, plus de sécurité…
Lorsque nous parvenons au pied du Mont Kalambatritra, pour constater qu’il n’abrite plus que quelques derniers lambeaux de forêt primaire, la sensation d’arriver en terra incognita se renforce. Peu de Vazaha sont arrivés jusqu’ici et dès que je m’approche d’une demeure, ses habitants emmitouflés dans des couvertures me regardent l’air apeuré. Le contact s’établira rapidement et lorsque le soir venu nous nous rendrons à la rivière pour quelques ablutions, c’est tout le village qui viendra « admirer » le spectacle d’un Vazaha « nu comme un ver » recouvert d’une abondante mousse savonneuse.

En ce mois de septembre, les nuits sont glaciales et le matin, au réveil, c’est à la hâte que nous nous réfugions dans les cases tempérées par les fatapera qui dégagent une fumée dense. C’est sous le niveau de ces émanations de carbone que nous absorbons une boisson chaude qui n’a de café que le nom (mais dans laquelle maïs ou autre farine de pois du Cap doit entrer en quantité non négligeable). Nous comprenons que les enfants qui vivent dans cette ambiance confinée, contractent régulièrement des maladies respiratoires, première cause de mortalité infantile. Des pentes du Mont Kalambatritra, proprement dites, je ne retiendrai que quelques beaux amas rocheux dans lesquels nichent quantité d’oiseaux et de beaux spécimens de fougères arborescentes.

Lors du dernier campement, dans l’ultime hameau traversé, je constate qu’il me reste de nombreux paquets de gâteaux secs. J’identifie le groupe d’enfants duquel je me rapproche avec précaution pour remettre, à l’aîné, ces quelques denrées que je lui demande de partager. Je vais réaliser quelques dizaines de minutes plus tard que les paquets n’ont pas été entamés : les enfants n’ont pas réalisé qu’il s’agissait de gâteaux ou plus exactement, car le mot leur est inconnu, de « quelque chose à manger ». J’ouvre un paquet, je croque un gâteau et le reste n’est que le spectacle d’une nuée de moineaux se jetant sur des graines. Nul besoin d’expliquer qu’Internet, que dis-je ! L’électricité, voire l’accès à l’eau potable relèvent, dans ce même monde que nous côtoyons, du mirage.

Le périple d’étrangers dans ces vallées perdues s’est répandu comme une traînée de poudre. Les habitants du village d’Ivahona alertés de notre arrivée prochaine, ont improvisé un goûter géant avec, luxe suprême, du Coca-Cola à température ambiante ! Les jeunes filles se sont parées de leurs plus beaux bijoux en argent qui font la fierté des habitants de ces contrées. Même si le spectacle offert par ces populations, qui vivent au rythme et avec des outils d’un autre âge, est attachant, on aimerait croire que dans quelques générations, il ne s’agira heureusement plus que d’histoire ancienne. On aimerait croire…

Textes et photos #RichardBohan

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