Mira Rakotondrandria : « On consomme cinq fois moins de lait que le reste de l’Afrique »
3 octobre 2018 - ÉcoNo Comment   //   2573 Views   //   N°: 105

Frappée durement par la crise de 2009, la filière lait peine à se restructurer. L’offre des producteurs est loin de satisfaire à la demande et aujourd’hui, le lait est un produit de luxe pour les Malgaches. État des lieux avec la responsable du Malagasy Dairy Board, l’organisme de promotion et de coordination de la filière lait.

Mira Rakotondrandria
Directrice exécutive du Malagasy Dairy Board

La production de lait n’arrive pas à satisfaire à la demande. Pourquoi ?
A Madagascar, une vache laitière produit 2 600 litres de lait par an. C’est relativement peu si on compare avec la productivité de 4 000 litres de lait par an chez les Kenyans et de 10 000 litres chez les Européens. Malheureusement, à Madagascar, l’élevage se fait encore à petite échelle. Un éleveur possède en moyenne trois vaches par ferme. La production totale annuelle n’est aujourd’hui que de 500 millions de litres par an. Faute de production et à cause du faible pouvoir d’achat, un Malgache consomme environ 5 litres de lait par an alors que la consommation moyenne de lait par an est de 22 kg sur le continent africain. Pour les Malgaches, le lait est un produit de luxe qui coûte dans les 1 600 ariary le litre.

Le manque de fourrage est-il le problème ?
Le fourrage est l’alimentation de base pour avoir un lait tant de qualité que de quantité. Or, sa culture n’est pas ancrée dans les habitudes du pays. En période sèche, la production laitière diminue de moitié à cause du manque de fourrage. Selon les normes, il faut un hectare de fourrage pour nourrir deux vaches,

« Le lait importé coûte moins cher que le lait produit localement, c’est une atteinte à la concurrence »

mais la plupart des éleveurs traditionnels ne savent même pas que le fourrage se cultive ! Ils considèrent que le fourrage pousse naturellement. Par ailleurs, beaucoup d’éleveur en ville n’ont pas de terrain pour cultiver le fourrage. Faute de moyen, ils donnent des jacinthes d’eau à leur vache. Ce n’est pourtant pas conseillé aussi bien en termes de qualité nutritionnelle qu’en termes d’hygiène.

La qualité du cheptel est-elle aussi en cause ?
Les races laitières sont peu nombreuses à Madagascar. Elles n’ont été introduites qu’à l’époque pré-coloniale. Elles coûtent environ 4 millions d’ariary par tête mais peuvent fournir dans les 20 litres de lait par jour. Moins cher que d’importer les bêtes, on peut importer les semences de vaches laitières et faire de l’insémination artificielle, mais peu d’éleveurs ont les moyens de pratiquer cette opération qui coûte 105 000 ariary. Et il faut la faire deux fois pour que ça réussisse, avec un taux de réussite de 60 %. Faute de moyens, au lieu d’accoupler les vaches laitières avec des taureaux améliorateurs (eux aussi importés) ou de faire l’insémination, ils les accouplent avec des taureaux locaux. C’est ainsi que la race se dégrade et que la productivité de lait baisse.

Pourquoi la qualité du lait malgache tend-elle à se dégrader ?
C’est surtout dû au manque de contrôle de la part de l’État. Il y a pourtant des lois et normes sur les produits laitiers, mais hélas suivies d’aucune application. Voilà pourquoi le lait de mauvaise qualité se propage sur le marché. Ce sont les collecteurs informels qui trafiquent le lait pour qu’il ne tourne pas. Ils ajoutent des conservateurs comme l’urine, le formol ou encore le bicarbonate de soude. Pour que le lait soit plus blanc, ils ajoutent de la fécule de manioc ou encore de la chaux grasse. Tous les moyens sont bons pour duper le consommateur. Sur le marché, le lait est vendu dans des bidons et bouteilles en plastique sous le soleil alors qu’il doit être réfrigéré, pasteurisé ou à bouillir deux heures après la traite.

Quelles sont les régions productrices de lait ?
Pour qu’une région soit favorable à la production, il faut un climat subtropical, une bonne altitude pour la viabilité des races laitières et un excellent relief pour un meilleur pâturage. A Madagascar, on compte sept régions laitières : Haute Matsiatra, Amoron’i Mania, Vakinankaratra, Analamanga, Itasy, Bongolava et Alaotra Mangoro. La production se concentre surtout sur les hautes terres à Vakinankaratra et Analamanga.

Combien de litres de lait importe-t-on à Madagascar ?
En 2009, nous avons importé 30 millions de litre de poudre de lait.Le lait importé coûte moins de 1 200 ariary. C’est moins cher que le lait produit localement. Et c’est anticoncurrentiel pour les producteurs de lait locaux. Par ailleurs, les usines de transformation utilisent les poudres de lait pour atomiser la qualité de leur lait. Selon les normes, elles devraient utiliser du lait frais et se fournir auprès des producteurs locaux. Puisqu’il n’y a aucun contrôle, certaines n’utilisent que la poudre de lait, plus bénéfique à leur entreprise. Voilà pourquoi les producteurs sont devenus peu nombreux. Quand ils produisent du lait, ils n’ont pas beaucoup de preneur. Beaucoup jettent l’éponge.

Comment s’est portée la filière après la fermeture de Tiko en 2009 ?
Il y a eu un impact immédiat sur la filière. Beaucoup de vaches ont été envoyées à l’abattoir. En effet, il n’y a plus eu de preneurs de lait à grande échelle. Le prix du lait a beaucoup augmenté alors qu’il a été dans les 100 ariary auprès des producteurs dans les années 2000. Cette situation a beaucoup fait émerger les collecteurs opportunistes informels.

Pourtant l’économie laitière reste un marché prometteur…
A tous les maillons de la chaîne laitière, il y a une opportunité d’affaire. En guise d’exemple, la culture fourragère à grande échelle est très rentable. Le coût de production d’un kilo de fourrage est à 80 ariary et on peut le vendre à partir de 130 ariary. Le seuil de rentabilité est à partir d’un demi-hectare de culture fourragère. Pour l’investissement, il suffit juste du fumier pour fertiliser le sol. Par ailleurs, le lait et les produits laitiers (fromage, yaourt, yaourt à boire, etc.) sont entrés dans les habitudes alimentaires des Malgaches. Il existe donc de grandes usines qui ont besoin de 25 000 litres de lait par jour, mais aujourd’hui, elles n’arrivent qu’à en avoir 12 000 litres. La demande est bel et bien là.

Le rôle de l’État dans tout ça ?
L’État doit favoriser l’environnement de la filière : sécurité du bovidé, électrification, allègement des taxes, protection du marché, etc. Cela permettrait vraiment de développer la filière et attirer les investisseurs.

Quelles sont vos missions dans la structuration de la filière ?
Nous avons organisé la deuxième édition des Journées du lait en juin dernier dans le cadre de la Journée mondiale du lait. Nous avons sensibilisé à la consommation du lait en partageant 2 000 litres de lait gratuit. Durant la foire, nous avons organisé des ventes-expos, des conférences-débats, des rencontres B2B, des démonstrations culinaires, etc. Notre objectif est de contribuer au développement et à la structuration de la filière laitière. Dans le cadre de notre projet ASA Lait financé par l’Union européenne, nous allons importer des semences de vaches laitières pour favoriser les inséminations artificielles et perpétuer la race. Pour cela, nous allons acquérir une machine de production d’azote liquide pour conserver les semences importées congelées.

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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