Mauvaises langues
12 juin 2018 - GaysyNo Comment   //   806 Views   //   N°: 101

Le résultat de l’analyse médicale me laissa perplexe. Mon mec est malade. Le nom de la pathologie me laisse incertain. Anémie. Selon les explications du médecin, ça a l’air compliqué. Il a donné des détails sur les chances de s’en sortir, mais je n’ai rien retenu. Mon cerveau était comme incapable de se souvenir de ses propos sauf ce mot « compliqué ». De quelles manières et pour combien de temps ? Ses phrases se compliquent avec les termes médicaux définissant les traitements à suivre, les spécialistes indispensables à consulter et le temps que ça va prendre pour avoir une chance de s’en sortir. Je pense que le père de Tiana ne réalise pas bien non plus ce qu’endure son fils aîné. Il prit l’ordonnance du médecin, essaya de lire maladroitement la prescription et leva son regard.

« Peut-on au moins trouver ces médicaments ici? », demanda-t-il d’un ton sec, habitude que les années passées à l’armée faisait surgir involontairement.
« Oui, mais relativement chers », lui répondit le toubib.

Une amie française m’a raconté qu’un membre de sa famille a eu le même problème et n’a pas survécu longtemps, même avec la qualité des soins dans l’Hexagone.

Face à cette situation, j’ai pris plus de temps libre pour rester avec Tiana, chez nous. Il y a quelques mois, il avait pris la décision d’emménager chez moi, le locataire de son père et vivant dans le même bâtiment qu’eux. Malgré ce qui lui arrivait, Tiana, n’avait pas perdu son caractère souriant. J’ai du mal à croire que son corps de vingt-et-un ans, bien bâti, souffre.

Il passa la plupart de son temps à dormir, comme pour récupérer, sans aucun signe extérieur de malaise. Il prit correctement ses médicaments. Et quand il se leva, il essaya de s’activer comme tout le monde en s’adonnant même à quelques exercices physiques, histoire de booster son organisme. Moi, je donnais le maximum sachant à quel point ce moment nous était important. « Reste donc avec ce pédé jusqu’à ce que tu crèves. Qui sait s’il n’est pas la source du problème ? Maintenant tu es dans la merde et tu continues à t’incruster chez lui », formulait sévèrement la voix de son père au moment même où je rentrais chez moi, à leur insu. J’ai tout de suite compris que je devais déménager avant qu’il ne soit trop tard. Plus l’état de Tiana allait se détériorer, plus son père allait s’acharner sur moi, j’en avais la conviction. Saisissant le premier prétexte qui se présenta, j’exécutai mon projet mais avec la ferme intention d’être au maximum aux côtés de mon mec.

Au bout de quelques visites chez eux, j’ai senti de plus en plus l’accueil glacial que la famille me réservait alors que l’état de santé de Tiana se dégradait. Pourtant, son père nous avait en quelques sortes accordé sa bénédiction peu de temps auparavant, alors que tout semblait nous réussir. Animé par le sentiment profond et sincère que j’éprouvais pour Tiana, je continuais de passer le voir sans trop me soucier des comportements désagréables des siens à mon endroits.

L’hospitalisation de Tiana a mis toute sa famille dans une sorte de rage contre moi, m’accusant de l’avoir contaminé d’une saloperie quelconque. J’ai fini par ne plus y aller mais j’avais trouvé un moyen de l’aider indirectement, par le biais de l’infirmière qui s’occupait de lui, en lui donnant de l’argent. Et je me suis mis à travailler dur, le seul moyen de payer son traitement qui n’eut d’ailleurs presque aucun effet sur son état aggravé. Seule l’infirmière me donna de ses nouvelles au bout de quelques mois. Son physique s’était complètement détérioré, jusqu’à en être méconnaissable au moment de sa mort.

J’ai appris l’atroce nouvelle par téléphone, au moment où je partais en mission en province. Tiana avait confié à son père ses derniers messages, soulignant l’intensité de son amour pour moi durant cette période de combat intense. J’ai appelé mon patron pour demander la permission de me rendre auprès de mon mec, une dernière fois. Je n’ai pas obtenu cette faveur, priant ainsi l’infirmière de faire le nécessaire à ma place pour faire un dernier adieu à mon être cher. Au moment des obsèques, la rumeur s’est généralisée comme quoi, Tiana était mort du sida et que c’est moi qui lui avais transmis le virus.

Entre anémie et sida, il y a une grande différence, même si les victimes présentent des points de similitude. Quand j’ai eu quitté définitivement cette ville où Tiana et moi avions vécu ensemble, presque tout le monde m’évitais. Ça n’a pas pour autant terni le souvenir des bons moments que j’ai passés auprès de ce jeune homme d’une rare qualité. Et pour les mauvaises langues, je suis encore en vie et en bonne santé, dix ans après.

par #Von

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