Lettres de Lémurie : Jules Hermann, Les Révélations du Grand Océan
1 mars 2016 - Cultures LivresNo Comment   //   3752 Views   //   N°: 74

Jules Hermann, Les Révélations du Grand Océan, Livre V,
« Le préhistorique à l’île Bourbon »,
Éditions Le Corridor bleu, Saint-Pierre, La Réunion, 2015.  

Voici enfin le fondement du mythe lémurien livré au public ! Nous en avons parlé ici, comme beaucoup d’autres, sans l’avoir lu. Il est vrai sur la foi de vénérables zélateurs dont la passion contagieuse fermait nos yeux et reliait notre imaginaire à ce continent englouti dépositaire d’un rêve d’une humanité lémurifique, c’està- dire à notre propre (dé)mesure et selon nos préjugés.

Un vaste continent aurait émergé autrefois dans notre région, « en forme de croissant, qui s’étendait de l’Océan indien à la Patagonie, partant du sud de Ceylan, englobant les Mascareignes et Madagascar, passant au-delà du cap de Bonne-Espérance […] » : C’est la Lémurie.

Tectonique des plaques, dérive des continents, cataclysme gigantesque advenant, ne subsistent aujourd’hui que Madagascar et les Mascareignes. Le nom vient bien évidemment des lémuriens que l’on ne trouve plus qu’à Madagascar. 

La paléontologie relie en effet la survivance à Madagascar des lémuriens, ancêtres de l’homme, à l’isolation créée par la dislocation de ce continent préhistorique.

Emmanuel Richon, avec Lemuria, le continent disparu de l’océan Indien (édition Mauritiana, Grand-Baie, Maurice, 2009, 110 p.), recense les pièces du puzzle qui ont construit le mythe depuis le zoologiste anglais Philip L. Sclater (1829-1913), qui inventa l’hypothèse du continent englouti, à Malcolm de Chazal (1902- 1981), et le taxonomiste darwinien Ernst Haeckel (1834-1919), inventeur également du mot « écologie » et qui trouva dans la Lémurie le chaînon manquant de nos origines ; puis, bien entendu, notre visionnaire, Jules Hermann (1845-1924).

S’il n’a pas inventé la Lémurie, Jules Hermann,notaire, maire de Saint-Pierre, mais aussi chercheur à l’esprit encyclopédique, est le premier à la considérer comme le continent originel, le berceau oublié de l’humanité. Il cherche à confirmer cette hypothèse dans la linguistique et retraçant les origines des langues, veut remonter à la source de toutes les langues, la langue lémurienne, et la découvre dans le malgache !

Par cette forte charge symbolique, l’inversion proposée de la perspective coloniale faisant de nos îles du bout du monde l’origine, Les révélations du Grand Océan ouvrent une voie royale à notre imaginaire poétique et littéraire et inspirent plus d’un auteur de notre région : de Robert Edward Hart à Xhi, en passant par Malcolm de Chazal.

Néanmoins, malgré tout, les Révélations sont victimes de leur « vertu médusante » et leur publication d’abord de façon fragmentaire, puis à titre posthume en 1927, « s’interrompt, victime d’un fou rire général… »

« Pendant un demi-siècle, comme le précise Nicolas Gérodou dans sa présentation, le livre restera dissimulé dans l’enfer des bibliothèques. » Dans les années 1980, Carpanin Marimoutou et Jean-François Reverzy s’emploient à le ressusciter, en fondant les éditions Grand Océan et la Revue du même nom afin de publier les oeuvres complètes d’Hermann, sans trouver son achèvement… Se servant du bouclier de méduse, la présente édition tente de « conjurer la sidération du livre, et de sa folie… en l’éditant l’oeuvre à l’envers, entamant l’entreprise par le dernier des cinq livres (…) »

Voici donc le retournement d’un « texte fantôme » qui a fait halluciner plus d’un rêveur. Tout simplement parce qu’écrit par le premier d’entre eux. Ainsi, face à la montagne derrière la ville de Saint-Denis, il nous édifie : « toutes les grandes tranchées qui marquent obliquement, du sommet de la montagne jusqu’à sa base, ne sont pas des brisures naturelles provenant des convulsions volcaniques de l’ancien continent. Elles ont été volontairement taillées. » Et l’auteur du Préhistorique à l’île Bourbon d’en déduire après fort passionnés raisonnements et observations que nous sommes face au grand temple de la civilisation lémurienne dont toute une paroi représente des figures zodiacales sculptées par des géants, anciens habitants du continent englouti.

Comme Jules Hermann le dit lui-même : « j’en ai assez dit pour ébranler et faire les convictions. » Lémurifiquement vôtre.

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