Lettres de Lémurie : Hainteny
5 décembre 2016 - CulturesNo Comment   //   2038 Views   //   N°: 83

Jean-Joseph RABEARIVELO (textes) / Mamy RAJOELISOLO (peintures), Hainteny, album d’art tout-carton, éditions Dodo vole, Antananarivo, 2016.

La collection Dodo d’artistes vise à montrer aux enfants de 0 à 103 ans des œuvres d’art de la Lémurie. Si dans la plupart des livres illustrés, pour présenter une histoire, on fait appel à un illustrateur, chez Dodo vole, c’est l’inverse : on veut surtout montrer des œuvres plastiques et un auteur accompagne les choix par des textes littéraires sinon poétiques.

Ainsi, pour cet album, la peinture de Mamy Rajoelisolo est accompagnée par quelques hainteny choisis, écrits et/ou traduits par notre grand poète national, extraits de publications variées répertoriées dans ses Œuvres complètes (Tome II, Édition critique coordonnée par Serge Meitinger, Laurence Ink, Liliane Ramarosoa & Claire Riffard, CNRS éditions, 2012) : certains sont extraits de « Vieilles chansons des pays d’Imerina » (Revue de Madagascar, n° 25, Antananarivo, Imprimerie officielle, 40p., 1939), d’autres de « Poèmes hovas recueillis à Madagascar par le poète JJR » (Latinité, tome II, n°5, Paris, mai-août 1929, pp. 25-29), d’autres encore de « Vieux poèmes hova d’auteurs inconnus » (in Sagesse, Cahier 12, Paris, été 1930 ; ou in La vie, Paris, 1er décembre 1930).

Ces recherches et expérimentations de Rabearivelo sur les formes littéraires anciennes correspondent à une recherche identitaire après une période d’apprentissage et d’imitation des formes modernes étrangères. Dans le dernier poème de Presque-Songes (éditions Henri Vidalie, Antananarivo, Imprimerie de l’Imerina, 1934), intitulé « Ny Asanao » / « Ton Œuvre », écrit le 28 juin 1931, le poète s’écrie en effet : « Tu n’as fait qu’écouter des chants / et tu n’as fait toi-même que chanter ; / tu n’as pas écouté parler les hommes, / et tu n’as pas parlé toi-même ».

Il initie alors avec quelques amis, dont le grand-père de Mamy, le poète et traducteur Charles Rajoelisolo (1896-1968), un mouvement de renaissance littéraire et culturelle « Hitady ny very » (À la recherche de ce qui est perdu). Avec Ny Avana Ramanantoanina et Charles Rajoelisolo, ils fondent le 5 août 1931 Ny Fandrosoam-baovao (Le Nouveau Progrès), un journal qui veut prendre, selon ces auteurs, « le temps de nous interroger et de nous étudier en ce qui concerne la poésie (car) tout ce qui fait ce que nous sommes y est contenu (…) » (Fampandrosoam-baovao, n° 28, Antananarivo, 24 février 1932, trad. L-X Razafimahatratra, in Œuvres complètes, 2012).

En 1934, ils annoncent avoir trouvé ce qui est perdu : « Ny vetsovetsom-po manetsika ny fo hafa, ny hiran’ny fanahy mampipararetra ny fanahy hafa » (« les rêveries d’un cœur qui émeuvent le cœur d’autrui, le chant d’une âme qui fait vibrer d’autres âmes » ; Fampandrosoam-baovao, n° 141, Antananarivo, 13 juin 1934, même trad.).

Dans Hainteny, Dodo vole a choisi quelques-unes de ces formes de chant malgache qui repérées par Jean-Joseph Rabearivelo peuvent faire vibrer d’autres âmes, pour faire vibrer les peintures de Mamy Rajoelisolo et émouvoir nos cœurs.

« Henjana, ndriamatoa, ny fomba aty aminay ;
Tsy godongodonana raha ny taninay ;
Tsy hanaovan-teny mahery.
Haetreo ny famindranao ; ataovy mirefarefa,
Ny fiteninao, na tenin-dehilahy aza, aoka tsy ho mena loatra ;
Na tenin’andriana aza, aoka tsy ho vaky bantsilana !

Les mœurs de chez nous, jeune homme, sont bien rigides :
L’on ne doit pas faire retentir trop haut le bruit des pas sur notre terre ;
L’on ne doit pas y parler trop fort.
Que d’un humble soit votre démarche ; qu’elle soit traînante.
Que vos paroles, quoique d’un homme, ne soient pas rouges ;
Ni, même d’un noble, trop franches ! »

(Extraits de « Vieilles chansons des pays d’Imerina », 1939, trad. JR)

Lémuriquement vôtre,

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