Lettres de Lémurie – Ahmed Bacar Rezida, La rédemption des iguanes
29 mai 2018 - CulturesNo Comment   //   2386 Views   //   N°: 100

« … Il y a un autre monde dehors qui est à nous aussi »
Harlem, Eddy Harris.

Ahmed Bacar Rezida, La rédemption des iguanes, thriller politique,
éditions Cœlacanthe, Choisy-le-Roi, 2018, 161 p.

Voici un ouvrage dont le genre n’est pas très courant dans notre région. Entre un SAS (sans les paragraphes pornographiques) et L’affaire N’Gustro (de J.-P. Manchette, toujours sans le sexe et sans alcool), le roman nous raconte un x-ième coup d’État aux Comores, avec comme objectif de remplacer un président tyrannique dans un régime néocolonial par un autre dans le même.

« On rêvait de Comores sereines, prospères, libres et démocratiques, où la volonté du peuple serait le maître-mot des dirigeants. »

Il y a sûrement trop d’adjectifs dans cette phrase pour une jeune république qui peine à garder son territoire et sa population ! Toujours est-il que le putsch, préparé minutieusement par un réseau nébuleux nommé Juwa, avec l’assentiment du « plus grand partenaire international » et mené tambour battant par le colonel Azali, un ancien légionnaire formé par Bob Denard, ne se passe pas comme prévu.

Ahmed Bacar Rezida dessine les actions dans le détail. Il aime les descriptions pittoresques. « Ils avaient pour ordre de réceptionner le colis, de le conserver et d’attendre le signal avant d’injecter le poison : une dilution de 2 ug de coniine mélangés à 4 g de jusquiame. Ces deux extraits de plantes avaient une valeur sentimentale pour le toubib, fasciné par la mort de Socrate et celle de Hamlet dans la tragédie de Shakespeare. Il était prévu que Pompidou retourne vers le seigneur de la plus belle des manières, c’est-à-dire paisiblement et loin des souffrances endurées par le commun des Comoriens. »

Médecin, l’auteur n’hésite pas à en rajouter dans la tradithérapie d’urgence. « La queue du cafard contient d’excellents antibiotiques, encore plus efficaces que le miel des abeilles. Quant à l’aloé vera, c’est un anti-inflammatoire et un antalgique de choix pour le mal de tête ».

Comme le titre l’indique, on est dans le monde des iguanes, un monde qui pullule, qui grouille. Un monde de prédation et de trahison. Ça se mange de partout. Car l’iguane dévore, et s’attend aussi à être dévoré. Et le Raïs, le tyran qu’on veut abattre, est un sacré mwalimu burale, un iguane de Ngazidza (Grande-Comore).

Tant et si bien que, malgré les réunions secrètes, les conjurations, l’empoisonnement et même le corps de substitution, le coup s’annonce foireux.

« Invités sur place / La fiancée a perdu sa bague en cours de route / Retarder l’époux pour la cérémonie / quitte à lui retirer à lui aussi la sienne / ».

Farouche comme un iguane des Comores, dit le dicton. C’est un animal-sorcier. Il peut se retourner et causer des dégâts. Il retournera à son tour ceux qui lui ont tourné le dos.

Ce reptile à sang froid a la peau écailleuse et peut changer de couleurs. Ce qui lui permet de se fondre dans son environnement. Il est doté de griffes puissantes et peut rester jusqu’à plusieurs heures sans bouger. Il possède aussi un troisième œil se trouvant au-dessus de la tête, au niveau du dos, appelé œil pinéal. Cet œil plein, grisâtre et sans paupière, ne confère pas une vision normale mais donne à l’iguane la possibilité, sans avoir à lever le cou et ainsi exposer ses régions anatomiques vulnérables, de sentir d’éventuelles attaques de prédateurs par la variation de l’intensité lumineuse. Une proie, que l’on pense à la portée, que l’on voit par avance capturée, ligotée, réduite à l’impuissance, peut échapper à ses prédateurs.

Intrigues, actions, poursuites, trahisons, contre-trahisons, suspense et rebondissements. Ahmed Bacar Rezida nous offre du cinéma qui ressemble étrangement à la réalité des Comores sinon à celle de notre région. Déjà les noms se mêlent si l’on n’est pas familier de la scène politique.

« Tout semble avoir été programmé pour rendre le plus flou possible l’avenir des habitants et de leurs descendances, pour qu’ils ne puissent remonter leurs lignées et comprendre, voire extirper, le mal qui les rongerait si, par inadvertance, ils étaient une fois encore tentés de prendre leur indépendance vis-à-vis de cet ingénieux système néocolonial. »

Au final, un roman des imberbes au périple étonnant qui nous mène de Ngazidza, via Anjouan, Mohéli et Mayotte, à Antananarivo. Si l’on ne sait pas l’archipel proche, on ne tarde point à s’en convaincre.

Lémurifiquement vôtre,

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