Lettres de Lémurie
3 février 2015 - CulturesNo Comment   //   1767 Views   //   N°: 61

«… Il y a un autre monde dehors qui est à nous aussi »
Harlem, Eddy Harris.  

Yvan Prat, Un taxi pour Maman,
Éditions Dodo vole, collection Plumitif, 2015, 156 p.

« Maman morte. Arrive demain. »
C’est ainsi qu’un matin Jospin- Solo, sortant à peine de son statut d’étudiant mal logé du CUR (Centre universitaire régional) de Toamasina et entamant une carrière d’entrepreneur musical tout à la débrouille, alors qu’il prépare la maquette-son d’un groupe de rap dans sa chambrestudio d’enregistrement, reçoit par sms la nouvelle du décès de sa mère.  

« Et Jospin est seul, absolument seul devant la seule évidence qui compte : Maman est morte.
Il s’en fout qu’elle prenne le taxi-brousse, ou qu’elle soit déjà dedans, qu’elle arrive ce soir ou demain, ou n’importe quand. Depuis le temps qu’il ne l’a pas vue, qu’il n’a pas entendu sa voix dire son nom : «Jospin-Solo, Solo, mon Solo», en posant la main sur l’arrondi de son crâne. »  

« Depuis quand les mères meurent-elles comme ça ? » a-t-il juste le temps de se demander avant que ne lui tombent dessus des questions très très pratiques, avec le cercueil à la station des taxis-brousse.
Comme par exemple, que faire du corps de sa mère, probablement une fille-mère, éloignée de sa famille depuis longtemps, dans cette ville où il s’était établi ?

Assis sur le cercueil, après avoir envisagé les possibilités qui s’offrent à lui, y compris s’enfuir en courant et abandonner cette encombrante charge à l’endroit où on l’a déchargée, il se résout à amener sa mère là où il se rappelle avoir été heureux avec elle, sur l’île Sainte-Marie.

Commence alors pour Jospin un voyage dont il va falloir plus d’un taxi pour en arriver au bout, car « c’est surtout son esprit qui s’échappe en plusieurs directions. »

Yvan Prat va lui faire utiliser tous les véhicules de transport possibles, la Mazda habituelle de nos compagnies de taxi-brousse laquelle tombera bien sûr en panne, et également la 4L de légende, qui va perdre le cercueil dans une pente trop abrupte à l’insu du chauffeur et du fils accompagnateur abrutis par la chaleur et les événements.
Jospin partira à la recherche du corps de sa mère à pied, en scooter, puis à sa poursuite en vélo (volé), le ramènera sur la rustique 404 bâchée de nos pistes rouges.
Ils prendront aussi le train, une charrette, un cyclo-pousse, une pirogue sur le Rianila (un fleuve qu’adorent les écrivains depuis E.D. Andriamalala), puis une barge sur le bras de mer de Sainte-Marie.
Mais le fils prodigue empruntera surtout les chemins du rêve et des souvenirs pour accompagner sa mère une dernière fois et se découvrir.

Yvan Prat nous emmène avec ce roman plein de nostalgie d’enfance à visiter la plaine côtière de l’Est malgache où l’on perd parfois nos repères géographiques pour mieux suivre les échappées du héros aussi débrouillard que distrait.
Nous ne raterons cependant aucun paysage, ni aucun pittoresque de la côte orientale que l’auteur connaît bien (il a vécu dix ans à Toamasina).
Et Dieu, dit-on, est dans le détail ; Yvan Prat aime à nous le dépeindre, parfois en le surlignant étrangement d’images du film Tabataba.

« Le crépuscule ressemble à la scène du film de Raymond Rajaonarivelo. Même pénombre peuplée de bruissements, de menaces paisibles, comme si le calme immuable de la gare suffisait à entretenir la sérénité nécessaire à une attaque surprise.
Éclairé par une ampoule, le bâtiment se devine dans les reflets blancs de ses murs soulignés de rouge.
Dans un recoin abandonné aux herbes, un wagon de marchandises contribue à l’illusion.
Peut-être que dans les fibres de ses planches reste un peu de sang versé pour l’indépendance.
Jospin a d’abord un pincement à l’estomac en associant la voiture et le cercueil de Maman qu’il pensait retrouver entreposé ici. »

Après un premier roman Bain de siège, édité numériquement par François Bon (Publie.net) – lequel se passe en pleine guerre de démantèlement de la Yougoslavie -, Yvan Prat signe ce récit d’errance pleine de douceur et d’humour dans la collection Plumitif chez Dodo vole.
Spécialisée dans « l’édition d’art pour les petites mains », cette maison lémurienne publie romans ou recueils de nouvelles portant un regard intérieur sur Madagascar dans cette collection. Un taxi pour Maman l’enrichit d’un troisième livre.
Dodo vole prévoit d’autres nouveautés pour cette année 2015, notamment un roman d’un grand écrivain malgache (surprise), puis un Ndrematoa (Polifika) dans la collection Carré tout carton et un conte sakalava Voaimena dans la collection Dodo bonimenteur. Lémurifiquement vôtre, 
 

COMMENTAIRES
Identifiez-vous ou inscrivez-vous pour commenter.
[userpro template=login]