Lettres de Lémurie
15 février 2017 - CulturesNo Comment   //   1707 Views   //   N°: 85

Haisoratra, Nassuf DJAILANI,
Variations poétiques, KomEdit éditions, Moroni, Comores, 2015, 47p.

« … Il y a un autre monde dehors qui est à nous aussi »
Harlem, Eddy Harris

Le malgache est une langue à part entière aux Comores, notamment à Mayotte où il est appelé kibushi. Parlé par une partie de la population, il s’écrit mais est rarement édité. « Vestige des peuples errants, exilés de l’île rouge », selon Nassuf Djailani, auteur mahorais de nouvelles, contes, et pièces de théâtre, il nous rappelle nos liens anciens avec l’archipel.

Dans « Approches de l’imaginaire reliant les Comores à la Grande île », le poète Ansoufouddine Mohamed, membre fondateur du Collectif Djando la Waandzishi, nous souffle les vagues de contacts parfois violents entre la Grande île et ses petites sœurs : « Ne dit-on pas que les proto-malgaches s’établirent d’abord aux Comores avant d’atteindre les côtes Nord-Ouest malgaches* ? Les équipées Betsimisaraka, écumant les côtes comoriennes à grosses caravanes de pirogues ravageuses ? Ces rois et ces reines pouvant s’appeler Ramanetaka ou Andriantsoly, érigeant domaine et royaume en archipel de lune, dans l’affolement d’un exil à la va-vite. Et l’aïeul antalaotre ? Flamboyance d’arabesques, magie et divination, émergeant des mers, érigeant royaumes et comptoirs… »

 » Qomr « , nom utilisé par les navigateurs arabes, a d’abord servi à désigner Madagascar.

Plus tard, vinrent les colonisateurs, raccrochant les terres annexées voisines en Madagascar et dépendances.

Ces épopées et exils ont donné naissance à de nombreuses œuvres littéraires.

Ainsi, en 1916, les V.V.S (Vy-Vato-Sakelika / Fer-Pierre-Ramification), condamnés pour complot contre la colonie, sont déportés à Dzaoudzi, l’îlot-prison, chef-lieu de Mayotte. Parmi eux des artistes, comme Ny Avana, Michel Randria ou Andrianaly, qui s’agrippent à la beauté de l’île et en font source de leur inspiration.

Wast Ravelomoria, directeur de l’Ecole Régionale d’Anjouan en 1913, a commis de son séjour à Anjouan une pièce de théâtre en musique. Elle met en scène une histoire d’amour entre deux jeunes gens, Noro Kaima, fille de sultan issue de la lignée des Al-Madua, et Said Omar, un garçon de la lignée des Al-Masseli. Les deux groupes sont rivaux. Le dénouement sera tragique. Les adieux de la jeune fille malgache se séparant de son prince agrémentent jusqu’à maintenant nos Kalon’ny fahiny, avec la fameuse et nostalgique  » Veloma ô ry Said Omar ! «  (Cf. Nirhy-Lanto Ramamonjisoa,  » Noro Kaima « , une pièce de théâtre de Wast Ravelomoria », Études Océan Indien, 29, 2001).

David Jaomanoro continue cette tradition. Né le 30 décembre 1956 à Anivorano-Avaratra, il va enseigner à Mayotte en 1988 et y décède à le 8 décembre 2015, après avoir donné à notre Lémurie littéraire, nouvelles, contes, et pièces de théâtre, cette fois-ci en français, se passant pour une grande partie sur son île d’adoption et « réveillant l’autre  » nous-mêmes  » ensommeillé dans le pays Morima » (Ansoufouddine Mohamed).

Quant à Nassuf Djailani, auteur d’expression française, notamment grand prix de l’océan Indien 2005 pour son recueil de poèmes Roucoulement (KomEdit éditions), il inverse ici la tendance et rend hommage à la langue malgache avec ce premier recueil de poèmes en kibushi.

« Ne pas perdre la gymnastique de cette langue dans laquelle je rêve, dans laquelle je pense d’abord avant d’engager un processus de traduction dans le français (pour me faire comprendre du monde) ».

Dans la préface, il parle de nofy – il a rêvé de « dire le monde dans sa langue » et nous livre un petit bijou « autour des concepts clés de la mythologie kibushi : le fihavanana, le fitiavana et le famboliana ».

« Mianatra fitiavana
Fa farobaka raha maro atsika
Ianatra atsika fitiavana
Fa traňotsika fa miriariatra
Ady maro ambela atsika
Velomitsika tany tsika
Ambolitsika ambeo tsika
Hameloňo fitiavana
fiarahina ».

Misaotra indrindra, Nassuf.

* Ils s’établirent alors dans la baie d’Antomboka, la baie du Départ, dans laquelle Indonésiens, Africains, Arabes et Perses avaient appris à vivre ensemble et fusionné leurs langues et cultures, créant Antsiranana (Antsiragnana, entendez la ville sans ancêtres communs, devenue Diégo-Suarez bien plus tard), avant d’essaimer dans tout Madagascar.

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