Lettres de Lémurie
1 février 2016 - CulturesNo Comment   //   3278 Views   //   N°: 73

Johary Ravaloson, Vol à vif,
La Réunion, Dodo vole, 2016. 

Le nouveau roman de Johary Ravaloson nous emporte dans une aventure au coeur de l’Isalo dont l’originalité est de présenter les poursuites de dahalo de leur point de vue : le narrateur caché dans les grottes observe l’hélicoptère des gendarmes qui les poursuit et comprend peu à peu comment leur tradition a été instrumentalisée. L’histoire se dédouble avec des retours en arrière, car Johary Ravaloson aime rappeler les traditions, ici le sikidy et la tradition du vol de bêtes. Ainsi, comme au théâtre, le jeune héros, écarté de ses parents à sa naissance pour cause de destin fort, élevé dans la forêt des Mikea vit en osmose avec la nature, surmonte les épreuves, tombe amoureux de sa demi-soeur mais tout finit bien car les méchants sont punis. 

Cependant, « les temps anciens rencontrent les temps neufs » (188). La culture traditionnelle d’une société présentée comme stable est menacée par ce qui représente la perversion de la modernité.

Le texte aborde la question de la gestion des parcs nationaux qui prive les populations de leur mode de vie, la corruption des hommes politiques, le traitement médiatique, les invasions de criquets, les ambitions concurrentes. Se croisent ou s’affrontent pour cela d’une part le vieux devin, le sage guérisseur, la jeune fille pure qui lit, le jeune orphelin courageux et d’autre part le fils élevé par les prêtres acquis à la vie urbaine devenu député qui descend sur terrain pour jouer au bienfaiteur mais qui détourne les dons et est le secret instigateur des manipulations. On rencontre aussi le président qui cherche à rafler les dons et à « contrôler l’imaginaire populaire » (155), la journaliste et les touristes vazaha naïfs, la mère éplorée qui, comme la Pénélope d’Ulysse, défait sa toile la nuit en attendant son fils banni.

Tout ce petit monde « baar » reste dans l’Isalo devenu « Yshal », le lieu de référence marqué par la beauté des couleurs, la richesse de la faune, l’étendue des espaces mais aussi les menaces humaines (le tavy, la violence) et naturelles (les criquets). Il est magnifié par les expressions poétiques comme « l’aube pointait ses lèvres roses et humides » (75) et les traductions du malgache : « la vie est douce » (53, 116), « c’est toi qui fais le jour » (45).

Les lecteurs avisés reconnaîtront facilement les noms des lieux (l’Urùmbé, Ilakak), des gens (les Miké), le professeur Ratsimamanga derrière « le célèbre chercheur Tsaramang qui, dans la Capitale, adaptait au service de la médecine moderne la pharmacopée traditionnelle » (134), un président – anonyme – qui distribue des produits allemands (rhénans). Ils retrouveront cette nostalgie des origines que Johary Ravaloson appliquait aux Zafimaniry dans ses ouvrages précédents (« je reviens vers La Source » dit-on en dernière page) et qui rend ces dahalo si sympathiques. Oui, la littérature change le regard, transfigure le réel, si, comme le papang du texte et du destin, on prend de la hauteur, grâce à elle. L’auteur présentera le roman au Forum littéraire de l’IFM ce samedi 6 février à 10 h 30.

Vol à vif

Dominique Ranaivoson  ranaivoson-hecht@wanadoo.fr

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