Le mutisme tue
11 octobre 2017 - Fanahy gasyNo Comment   //   1376 Views   //   N°: 93

« Ny alahelo tsy ambara aman-kavana, zakan’ny tompony ihany » peut se traduire par « une tristesse qu’on ne confie pas à ses proches, c’est qu’on peut encore la supporter. » Voilà encore un dicton des Ntaolo (Anciens) qui n’est pas sans portée philosophique. Une tristesse est une sorte de souffrance morale, un poids relativement lourd à porter selon la circonstance ou la personne. Si certains sont prompts à fondre en larmes aux premiers coups du sort, d’autres se montrent beaucoup endurcis. C’est le cas notamment des stoïciens et des épicuriens de l’Antiquité qui enseignaient l’indifférence face aux mille choses qui peuvent nous atteindre.

La mort même n’est pas objet de tristesse, enseigne le Grec Épicure, par le fait même que vivant, elle n’est rien pour toi et qu’une fois mort, tu ne seras plus là pour la redouter ! D’où cette fameuse sentence épicurienne : « Edite, bibite, post mortem nulla voluptas » (mange, bois, nulle volupté après la mort), encore qu’Épicure, n’en déplaise à une légende tardive, n’ait jamais prescrit la débauche, mais bel et bien la tempérance (lui-même, dit-on, se nourrissait d’eau et d’olives).

Les stoïciens se contentaient pour leur part d’une fière résignation face aux coups adverses, s’interdisant tristesse et lamentations puisque tel est, sur un plan cosmique, le sens de notre destin et qu’il serait vain de vouloir lui échapper. Ne dit-on pas que « le silence est d’or » et que l’indifférence du sage en imposera toujours plus que mille larmes de crocodiles ?

Mais si « les grandes douleurs sont muettes », c’est qu’elles sont encore supportables, relèvent non sans ironie nos Ntaolo qui opposent aux Grecs un humanisme de proximité. En clair, quand la douleur ou la tristesse sera insupportable il sera toujours temps de la confier à ses proches, car le meilleur remède est encore d’en parler et de laisser faire le médicament de l’entraide collective. Et même à supposer que l’interlocuteur n’arrive pas à résoudre le problème, le fait d’avoir pu se confier à lui et que quelqu’un ait pu écouter, fait toujours du bien. Il arrive même que la solution vienne d’autrui, enlevant ce poids qui pèse sur soi.

Une conception qui n’aurait sans doute pas déplu au Dr Freud du fond de son cabinet viennois. Car la psychanalyse dit-elle autre chose ? Parler de sa tristesse, c’est déjà en guérir. Parler ! Voilà bien pourtant le maître mot de cette époque où tout le monde parle et se raconte – bavarde plutôt, il n’est qu’à voir ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Sans pour autant avoir le sentiment que l’on s’écoute vraiment et qu’on cherche vraiment à aider l’autre, chacun enfermé dans son narcissisme fondamental. Triste constat !

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