L’autostoppeur
7 juin 2019 - GaysyNo Comment   //   932 Views   //   N°: 113

L’effervescence du 25 juin m’entraîne à sortir sans aucune idée précise de l’endroit où aller. À la veille de la célébration de la fête nationale, écouter « Freedom » de George Michael à bord de ma vieille Peugeot 405 m’aide à m’orienter vers la bonne direction pour éviter les routes qui mènent vers Anosy. La fin du spectacle de feu d’artifice provoque une marée humaine dans les rues débouchant autour du lac. La montre digitale de la voiture affiche 20 h 14 et le centre-ville s’illumine de mille feux. Les différentes couleurs de guirlandes lumineuses qui ornent les rues mettent le coeur en fête tout comme les petits lampions des passants. Les bruits des pétards font sursauter à chaque coup. Les bouchons s’intensifient un peu partout. Sur la route longeant la poste à Analakely, un passant agite sa main faisant signe de m’arrêter. Je me souviens de son visage. Je l’ai croisé dans une soirée quelques jours plus tôt où son attitude solitaire et sa haute taille m’ont impressionné. Mais je n’avais pas trouvé le bon prétexte pour aller engager une conversation avec lui. Et là, comme par enchantement, il tombe sur moi !

« Vous allez dans quelle direction sans indiscrétion s’il vous plaît ? », formule-t-il avec courtoisie, suivi d’un sourire engageant. Il a tout pour plaire. Son body kaki et son treillis lui donnent une allure militaire. « En fait, je me balade. Je n’ai pas encore décidé où je vais. Et toi, tu vas où, à ton corps d’armée ? », lui rétorqué-je. « Je m’appelle Hugues. Je suis aussi dans votre cas, sauf que je ne suis pas véhiculé. Si ça ne vous dérange pas de m’embarquer, je peux participer. J’ai besoin d’un bol d’air ce soir. Je suis étudiant », poursuit-il. Aller se ravitailler en boisson se met en place dans la suite d’idées qui mijotent dans ma tête. Dans ce genre de situation, un peu d’alcool m’aide à être très perspicace et réactif.

« Commençons par trouver un endroit pour acheter à boire. À Behoririka, on a le choix », lancé-je. « Bonne idée. Et c’est moi qui paye. Vous fonctionnez à quoi ? », réplique-t-il. « Tu peux me tutoyer, je t’en prie. Un rhum blanc, un jus d’orange et quelques trucs à grignoter pour moi, ça ira » Je lui tends un billet qu’il refuse, redisant que ça lui fait plaisir de m’acheter le rafraîchissement . Sa démarche en ramenant nos emplettes vers la voiture me laisse davantage sous son charme.

Quelques gorgées du cocktail intercalées de taffes de cigarette m’aident à oser le dévisager sans trop le fixer du regard. Son grand gabarit dégage une force tranquille. Il a ce charisme qui provoque une certaine timidité chez moi. Cette rencontre inopinée change la donne sur le plan de ma soirée, jusqu’à me permettre de penser qu’avec un petit peu de chance, je pourrai l’avoir dans mon lit. Le fait qu’il soit tout seul ce soir de fête me berce de douces illusions et ce fantasme créé de toutes pièces déclenche ma stratégie de drague. Hugues possède le pouvoir de faire tomber les filles comme des mouches. Et il a l’embarras du choix ce soir. Alors pourquoi avoir choisi de passer la soirée avec moi ?

« Tu ne bois pas d’alcool ? », lui demandé-je en le voyant se servir du jus d’orange. Il se marre. « Je suis plutôt fumette, si tu vois ce que je veux dire. Un coin tranquille avec une belle vue et un petit joint me feraient le plus grand bien. Si tu le veux bien, du côté de Faravohitra, je connais un coin sympa. » Clin d’oeil ironique : « Tu n’as rien à craindre avec moi, voici ma carte d’identité ! » Difficile de dire non, son caractère agréable fait passer ses requêtes en douceur.

Effectivement, contempler le paysage nocturne d’Ampandrana, Anjanahary et Betongolo depuis l’endroit où l’on s’est garé procure de la sérénité. Il allume une tige qu’il avait déjà préparée. « Je suis au lycée Jules Ferry, je prépare mon bac. Il m’arrive de traîner par ici après les cours, certains soirs. Je vis à Mahamasina, mais ça vaut le détour. » Quelques bouffées de son herbe me mettent dans un état d’euphorie. L’envie de lui avouer ma personnalité me traverse l’esprit et je lui glisse quelques mots pour lui raconter ma petite histoire, l’inciter lui aussi à se dévoiler. « Maintenant tu sais comment je suis, à toi de voir si tu veux rester avec moi pour le reste de la soirée ou pas », conclus-je.

« Sincèrement, c’est la première fois qu’un mec me fait une telle déclaration. Je ne sais pas trop quoi te dire. Jusque-là, tout va bien, mais promets-moi que je ne risque rien en restant avec toi », me dit-il en allumant un deuxième pétard. « J’avoue que tu m’attires mais je ne peux pas te manger cru, ni te forcer à faire ce que tu ne veux pas. Tu sais, rien qu’être en ta compagnie me rend heureux », lui avoué-je.

« Je sors d’une relation compliquée avec une fille et j’ai besoin de faire le vider dans ma tête. Évitons de parler sentiment si possible et faisons de cette soirée un moment agréable. Pour commencer, allons changer d’endroit ! » Hugues m’a fait découvrir d’autres coins avec une vue à couper le souffle. Entre un endroit de la ville haute qui surplombe la partie sud de la capitale, ou quelque part sur la route Digue pour contempler de loin la beauté du Rova, notre complicité se poursuit dans les meilleures conditions, sans même se rendre compte que la nuit est passée. Le soleil se lève à l’horizon. Nous en sommes à notre énième fumette et j’ai siphonné à moi tout seul la bouteille de rhum. Je lui ai lancé un « je t’aime » avant de se quitter au moment où je l’ai déposé dans son quartier. À ma grande surprise, il m’a rendu la même phrase en ajoutant : « On va remettre ça quand le temps nous le permettra. Viens, je vais te montrer ma maison. Comme ça, tu sauras où me trouver la prochaine fois »

À suivre

par #Von

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