La ville du clair de lune
13 septembre 2012 - FombaNo Comment   //   1212 Views   //   N°: 32

Il est des mots qui signent une ou des époques. Délestage, par exemple. Pendant la grave crise de l’électricité qui a sévi longtemps avant et marqué les événements de 2009, le délestage a permis de rappeler les plaisirs simples de la vie. Le clair de lune en fait partie. 

La fée Électricité l’a fait oublier aux hommes. Le délestage a été une catastrophe salutaire pour nous rappeler qu’il y a eu un âge d’or où le Tout électrique n’est pas nécessaire au bonheur. Plus que la Transition, devenue un terme éculé à force d’usage, les coupures de courant resteront sans doute dans les mémoires des Tananariviens. Les voyageurs en provenance d’Europe, s’interloquent toujours quelque peu quand ils atterrissent, mais ne voient rien de la ville capitale de Madagascar, censée être leur destination finale. Quand, ailleurs, les tarmacs et les installations aéroportuaires rivalisent et resplendissent de lumières, l’aéroport d’Ivato offrait alors l’image surréaliste d’un petit aéroport provincial qui s’est endormi trop vite dans le noir.

L’effet de surprise est garanti, mais après avoir pensé nuisance, les touristes auront la primeur du spectacle d’une ville d’un million d’habitants, plus inondée par le clair de lune que par la lumière crue des ampoules électriques ou celle plus adoucie des caissons et tubes au néon des enseignes commerciales. Quel Parisien ou quel Londonien auraient pu apprécier le spectacle rarissime de leur ville baignée par la lune ? Désertées par la frénétique trépidation de la civilisation moderne, l’avenue des arcades, la place d’Antaninarenina ou les rues respirent le calme et la sérénité des premiers âges. La douceur de la lune fait partie de ces plaisirs que nous a fait oublier la violence de la débauche énergétique. Après avoir consommé à tout va, la surchauffe est intervenue à temps pour rappeler qu’il y a dans la vie, des choses plus importantes que les connexions. Les hommes ont fini par oublier des choses essentielles.

Quand leur taxi roule vers Tana sur une autoroute sans lampadaires en état de marche, les touristes goûtent le spectacle rarissime d’une capitale implantée au milieu de milliers et de milliers d’hectares de rizières. Dans la lumière opalescente de la lune, ils se rappelleront leur enfance et sauront que rien n’est plus doux que le souvenir de la campagne natale immergée dans la même lumière originelle de la nuit. Ils apprécieront la couleur rouge des briques des chaumières et la majesté du palais royal qui tranchent sur la terre, les eaux et les cieux. Le clair de lune est une lumière magique qu’aucune fée électricité ne pourra jamais remplacer. Quand tout sera oublié, qu’est-ce qui restera d’une époque si particulière de l‘histoire de Madagascar ? Les délestages, si on veut plagier le philosophe Alain. Le plus étonnant sera qu’ils aient été aussi vite oubliés, après avoir fait la une des médias, jour après jour, pendant des années. Mais, ils nous ont fait découvrir la lune et la douceur éternelle de Séléné, la mère de l’Humanité. 

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