La foi ou l’amour à Mananjary
17 janvier 2018 - À lire Cultures Livre du mois LivresNo Comment   //   2225 Views   //   N°: 96

Guilhem Causse, qui est jésuite, pose une chronologie sans masque : son premier roman, L’arbre du pèlerin, se déroule, en gros, des jours qui précèdent Noël à ceux qui suivent Pâques, l’année suivante. Mais ces signes ne sont pas ceux d’une vision à sens unique : à Mananjary où Julien, coopérant français venu en soutien d’une communauté de missionnaires jésuites, la vie du jeune homme de vingt-six ans est partagée entre deux pôles.

Le premier, où il est le plus souvent, est directement lié à ses fonctions administratives. C’est la Résidence, aussi son lieu de vie, un ensemble de constructions qui compose l’évêché de Mananjary. On y trouve une chapelle, un réfectoire, une cuisine, des chambres pour l’évêque et ses collaborateurs, un bâtiment pour les séminaristes, un garage, des réserves… Un centre opérationnel où les activités pratiques n’empêchent pas une intense vie religieuse.

Le second est, dans ce contexte, plus inattendu : le Kabary bar, qui fait aussi restaurant, est tenu par Raphaëla, une femme dont ne connaîtra pas l’âge réel mais que tout le monde s’accorde à trouver extraordinaire. Si Julien y a pris ses habitudes, c’est surtout parce que Magda, une des deux filles de la patronne, fait naître en lui bien des questions sur l’amour.

Entre l’espace religieux et l’espace laïque, Julien est d’autant plus partagé que le premier connaît quelques secousses en raison de l’animosité qui règne entre deux membres de la communauté. Charles vient d’être arrêté pour meurtre et détournement de fonds, son cas s’aggravant de la fonction de son frère, qui est sorcier. Nirina est son principal accusateur public et semble avoir réussi son coup puisque Charles est arrêté avant Noël – et libéré grâce au petit cadeau que le commissaire suggère de lui faire.

Devant ces déchirements internes qui répondent à ses propres interrogations sur l’avenir, Julien se trouve désemparé. Ce qui lui laisse quand même le temps, par l’intermédiaire d’un romancier bien documenté sur la vie quotidienne dans une ville de la côte est ainsi qu’en brousse, de décrire des scènes typiques dont le pittoresque est atténué. On n’est pas dans un guide touristique, on est dans le milieu où l’on travaille, où l’on passe ses jours et ses nuits, où l’on se demande si on va embrasser la vocation religieuse ou Magda…

Tout semble si familier qu’un sursaut saisit le lecteur quand il lit, à plusieurs reprises, la dénomination approximative de « Toca Gasy ». On la dira phonétique, à défaut d’autre explication. De toute manière, il y a ici davantage de questions que de réponses, dans le parcours personnel de Julien comme dans la valeur relative des tâches qu’il accomplit : « qu’est-ce que j’en sais moi, de ce qui est bien ou pas bien ? »

Guilhem Causse, L’arbre du pèlerin. Salvator, 330 p., 21 €.

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