José Randrianasolo : « 90% de l’économie est dans l’informel »
10 janvier 2017 - ÉcoNo Comment   //   6022 Views   //   N°: 84

Selon l’Institut national de la statistique, la Grande Île présente un taux de chômage d’à peine 3,8 %, mais ce n’est qu’un leurre dans un pays où 85 % des Malgaches sont touchés par le chômage déguisé, autrement dit le sous-emploi. José Randrianasolo, secrétaire général de la Confédération des syndicats des travailleurs de Madagascar-Fisema, nous explique ce paradoxe.

Le marché du travail à Madagascar est agonisant, pourquoi ?
Agonisant est un mot trop fort quoique tous les acteurs du monde du travail – directs et indirects – reconnaissent les difficultés rencontrées dans ce secteur. Les problèmes existent depuis le milieu des années 1970. Malheureusement, ils n’ont pas été pris au sérieux par les régimes successifs. La création d’emplois n’est qu’un objectif accessoire au sein de la politique nationale de développement. Aucun plan d’action concret n’a été lancé pour structurer ce secteur. De plus, le taux d’investissement n’est que de 15 %. Pourtant, sans investissement, le marché de l’emploi ne peut se développer. Voilà pourquoi, Madagascar est classé 116e parmi les pays les moins innovants avec un revenu moyen annuel par habitant de moins de 1 330 000 ariary (400 dollars) en 2015.

On assiste actuellement à une explosion du sous-emploi…
Depuis la crise de 2009, le taux du sous-emploi est de plus en plus élevé et atteint les 50 %. D’après l’Institut national de la statistique (Instat), 42,5 % ont un métier qui ne correspond pas à leur cursus. Par exemple, une personne ayant fait des études de médecine devient taximan ou tient une épicerie. La dominance du sous-emploi à Madagascar peut s’expliquer par l’arrivée massive de plus de 300 000 jeunes diplômés sur le marché du travail. Pourtant, les offres d’emploi ne sont pas très nombreuses et pas adaptées au profil des demandeurs. On dit d’ailleurs qu’à Madagascar il y a plus de personnes sous-employées que de chômeurs.

Le secteur informel est de plus en plus présent dans le marché du travail…
En effet, car le secteur informel est la manifestation du sous-emploi. Cela se traduit par l’insuffisance des heures de travail.

Au lieu de travailler 40 heures par semaine, la personne ne travaille par exemple que 20 heures. La population est moins productive, ce qui fait moins de rendement. Cela concerne les 80,5% des Malgaches qui se livrent à une activité de subsistance au quotidien. Le développement du sous-emploi est un indicateur d’une mauvaise performance économique. D’ailleurs, le secteur informel représente 90% de l’économie à Madagascar.

Le taux de chômage est relativement faible à Madagascar pourtant cela constitue un fléau pour l’économie du pays. Comment expliquez-vous cela ?
Le taux de chômage n’est que de 3,8 %, mais cela n’inclut pas le sous-emploi, voilà pourquoi ce taux est relativement faible. Comme à l’accoutumé ici, à Madagascar, tout se fait à l’envers, ce sont les personnes ayant fait des études supérieures qui ont le plus de mal à trouver du travail.

« Le sous-emploi est un indicateur d’une mauvaise performance économique »

Cela peut s’expliquer par le fait qu’une personne n’ayant aucun diplôme n’aura aucun mal à occuper tous les postes qui se présenteront. Toutefois, ceux équipés d’un diplôme désireront faire un travail qui convient mieux à leur niveau et à leur formation.

Pourquoi les jeunes sont-ils les plus touchés par le chômage ?
Parmi les quatre millions de chômeurs recensés dans le pays, 83 % sont des jeunes entre 15 et 30 ans.

Chez les jeunes entre 20 à 24 ans, le taux de chômage est de 3,1% et de 4,5% chez les universitaires. Cela s’explique par l’insuffisance d’offres d’emplois.

En parlant d’offres d’emploi, quelles sont les branches d’activités qui recrutent le plus ?
Les tendances se portent sur le secteur des zones franches, de l’administration, du commerce, de l’informatique, des mines, de l’hôtellerie et du tourisme. On trouve rarement des annonces d’emploi en matière d’industrie, de santé, de mine et d’énergie. Cela freine notre démarche vers le développement car ce sont des secteurs porteurs. On ne trouve pas non plus assez d’offres dans les secteurs de l’agriculture, des produits halieutiques, de l’élevage, de l’artisanat, du bâtiment et de la technologie, pourtant ce sont des domaines où les jeunes sont nombreux à se présenter.

Quels sont les emplois les plus recherchés ?
Les métiers les plus demandés sont dans le textile-habillement (zone franche), ensuite l’informatique (agents de saisie, programmeurs) et enfin la restauration (cuisiniers, pâtissiers).

Le mot « entrepreneuriat » est aujourd’hui sur les lèvres d’un bon nombre de jeunes, les encouragerez-vous en ce sens ?
Sans aucune hésitation, c’est la meilleure piste à suivre. Actuellement, le travail salarié engendre une dépendance économique et financière grave, voire dangereuse, pour les ménages. On remarque aujourd’hui que les jeunes ont un goût plus prononcé que leurs aînés pour entreprendre, voilà pourquoi je les incite à développer leur sens d’entreprise et leur créativité et surtout à ne pas désespérer en cas d’échec. Tout est aussi question d’éducation. Il faudrait inscrire dans le programme scolaire une matière sur l’entrepreneuriat afin d’encourager nos enfants à aimer entreprendre.

En tant que confédération des syndicats de travailleurs, quelles sont vos actions pour structurer le marché du travail à Madagascar ?
Ce n’est pas notre mission principale. Ceci dit, nous contribuons à la recherche des solutions via notre participation au sein du Comité de pilotage de l’emploi et de la formation professionnelle qui vient de se mettre en place. Nous sommes convaincus que la structuration de ce secteur permettra d’œuvrer vers le développement économique de Madagascar. Bien sûr, avec une réelle volonté politique, sinon, Madagascar ne fera que du « sur place » dans les années à venir.

Chiffres clés du marché du travail à Madagascar

Taux de chômage déguisé :
85 % de la population active dont 58 % de femmes et 15 % de jeunes sont les plus touchés.

4 millions de chômeurs dont 70 % sont des jeunes.

42 % ont un emploi en inadéquation avec sa formation de base.

80,5 % de la population active exerce une activité de subsistance.

42,5 % des travailleurs sont en situation de sousemploi.

4% des employés ont un travail formel, digne et respectant les normes internationales.

34,5 % de femmes et 91,7 % des hommes sont dans le secteur informel.

(Sources : INSTAT – Bureau International du Travail)

Contact
José Randrianasolo : 033 11 874 13

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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