Jean-Luc Rajaona : « Il faut démocratiser l’Internet »
18 janvier 2018 - ÉcoNo Comment   //   3181 Views   //   N°: 96

Bien que Madagascar soit classé troisième pays d’Afrique en termes de vitesse de connexion Internet, l’accès aux télécommunications restent réservés à une élite. La fracture numérique est encore très présente dans le pays, comme l’explique Jean-Luc Rajaona, président du Groupement des opérateurs des technologies de l’information et de la communication (Goticom).

Le développement numérique, un levier de croissance ?  

Au sein du Goticom, nous pensons que le secteur numérique est un secteur d’avenir pour Madagascar. D’une part, parce que les Malgaches ont une facilité dans les mathématiques et qui dit mathématiques dit informatique. Ce qui fait de Madagascar une destination pour tout ce qui est développement informatique offshore, un peu à l’image de l’Inde pour les pays anglophones. Pour ceux des pays francophones, nous pensons que Madagascar peut vraiment être un pôle de croissance. Quand on parle de développement numérique, on parle de développement de logiciels, des centres d’appels qui se développent maintenant depuis trois ans où vous avez des entreprises de 2 000 personnes qui se sont implantées à Madagascar. Le pays présente un intérêt très croissant par rapport à ce secteur d’activités mais aussi dans le BPO (Externalisation de processus d’entreprise) comme la comptabilité à distance, le traitement de cartographies pour des clients français et même des saisies de PV. 

« Le secteur des télécommunications
reste élitiste. »

Nous avons une main-d’œuvre intéressante pour les investisseurs, une facilité dans le français en ayant très peu d’accent, un fuseau horaire à peu près cohérent avec celui de la France et des coûts de location qui sont intéressants. Cependant, le point négatif, c’est le problème des coupures d’électricité mais qui je pense commence se résorber depuis deux ou trois mois. 

Une révolution numérique qui nécessite de réelles infrastructures en télécommunications…

Nos entreprises ne peuvent pas fonctionner sans des télécommunications performantes. Nous sommes en communication permanente avec nos clients. Le numérique ne peut se développer que s’il y a les infrastructures nécessaires. De mon point de vue, le secteur des télécommunications se porte bien mais reste élitiste car seulement 4 à 5 % de la population ont accès un Internet fixe c’est-à-dire la fibre optique ou ADSL et près de 30 % ont accès à Internet mobile mais avec des accès épisodiques. Une personne achète un crédit de 1 000 ou 2 000 Ar qu’elle utilise pendant 10 minutes et ne le renouvelle qu’au bout de dix jours. Ce qui nous semblent très faible et laisse une partie de la population en dehors de tout ce qui est révolution numérique. Il faut trouver une solution pour que tous les Malgaches puissent accéder aux services des télécommunications. 

Avec quatre opérateurs, cela devrait s’arranger ? 

Effectivement, nous avons trois grands opérateurs à savoir Telma, Orange, Airtel et maintenant Blueline qui fait de la voix. Les trois premiers grands acteurs ont à peu près les mêmes parts de marché. Mais c’est un secteur où il faut tout le temps investir car la technologie avance très vite ; une nouvelle technologie apparaît tous les deux à trois ans. Le haut débit existe à Madagascar et le très haut débit également mais proposé uniquement par Telma avec la fibre optique. Cependant, ces technologies sont à des prix très élevés. Je vous fais une petite comparaison bien que les opérateurs ne la trouvent pas pertinente. Chez moi, j’utilise une fibre optique de 279 000 Ar par mois soit l’équivalent de 80 euros qui devrait être illimitée mais qui, arrivée à 100 G est bridée alors qu’en France, à 19 euros vous avez la fibre optique illimitée. Les opérateurs affirment qu’ils doivent beaucoup investir et que les taxes sont élevées. Pour faire descendre les prix, il faut donc une discussion entre les opérateurs et le gouvernement car la majorité des malgaches ne peuvent pas en profiter. 

Le marché de la téléphonie mobile connaît un grand succès…

Il y a un véritable engouement pour les portables surtout auprès des jeunes car leurs prix diminuent considérablement. Mais il faut que les entreprises locales puissent proposer des services aux Malgaches et cela ne peut se faire que sur une base d’une population accédant aux téléphones. Si je propose un service et que seulement 50 personnes l’utilisent, ma société ne sera jamais viable. Il faut créer un écosystème pour le développement des applications mobiles pour les Malgaches afin que les sociétés puissent vendre leurs services. Il faut donc démocratiser l’internet. Quand on parle d’échanges Internet, la grande majorité des données va à l’extérieur c’est-à-dire que 80 % des sites sont en France ou aux États-Unis, mais ce n’est pas pénalisant pour les opérateurs puisque leurs objectifs est de vendre leur bande passante. Mais notre idée, c’est que comme tous les opérateurs ont déjà leurs infrastructures à Madagascar, pourquoi ne pas offrir une bande passante pour les applications locales ? 

En attendant, Madagascar accuse toujours un retard par rapport aux pays d’Afrique… 

Nous sommes surtout en retard en termes de développement d’un écosystème local d’Internet. En Afrique, les pays avancés sont les pays anglophones comme le Nigéria, l’Afrique du Sud et dans les pays francophones, c’est le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Ce dernier a investi 11 millions de dollars dans les start-up. Ils ont déjà un niveau de vie plus élevé et les mobiles sont plus démocratisés. A Madagascar, nous avons de bons développeurs mais notre marché c’est de développer des applications pour d’autres. Mais comme nous avons des compétences, nous devons développer pour nous-mêmes. 

Propos recueillis par #AinaZoRaberanto

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