Jean Emilien : Mort d’un geant
1 juin 2017 - CulturesNo Comment   //   3867 Views   //   N°: 89

D’avoir fait la première partie de Carlos Santana, ne l’avait pas rendu moins modeste. Joueur hors-pairs d’harmonica et de « kabosy », la guitare traditionnelle malgache, maître incontesté du « rija betsileo », Jean Émilien a tiré sa révérence le mois d’avril dernier.

Une silhouette de petit homme rondelet, un peu joufflu. Une voix nasillarde et très aigüe, comme celle de Mickey Mouse, le taquinait-on affectueusement. Il avait toujours sur scène son kabosy électrique et son harmonica accroché autour du cou. Jean Émilien Rakotonandrasana de son vrai nom, décédé le 5 avril dernier, restera à jamais une des légendes de la musique malgache. Avec son rija betsileo, la musique traditionnelle de Fianarantsoa, il a porté haut le flambeau de la musique malgache à travers le monde.

« Dans les années 1990, quand on le voyait sur des scènes internationales, on était fier d’être malgache, d’être de la même nation que ce musicien doué des Dieux », a témoigné Rossy, le roi du tapôlaka, à ses funérailles. Un musicien malgache qui a fait la première partie de Carlos Santana, il n’y en a pas beaucoup non plus ! « Tu jouais trente minutes devant Carlos mais tu ne le voyais pas, car il dansait derrière ton ampli de Bercy pendant que tu jouais », confiait sur les réseaux sociaux Jean-Claude Vinson, son tout premier producteur, quelques minutes après l’annonce de la disparition du musicien.

En 1991, il a remporté la médaille d’or au concours Hohner à Detroit, aux États-Unis, ce qui fait aussi de lui le premier malgache lauréat d’un concours international de musique.

Son jeu d’harmonica était si particulier qu’on l’avait comparé à Robert Johnson (1911-1938), le père même du blues, pour l’influence qu’il exerçait ! Pourtant, le fils de bouvier et bouvier lui-même avait appris la musique tout seul en gardant les zébus. « Son père trouvait ça futile et lui avait interdit de jouer. Il lui avait même fracassé son kabosy », raconte un de ses proches. Alors il avait continué en cachette.

C’est un chauffeur de taxi-brousse, étonné de l’entendre jouer si bien, qui l’amène à Tana pour enregistrer quelques morceaux à la Radio nationale, la seule station existant à l’époque. « Il a tout de suite fait un tabac. Ses chansons ont été utilisées comme indicatifs d’émissions et il a commencé à jouer dans les cabarets de la capitale. » Imprégné de rija betsileo, il pouvait également passer au blues, au reggae ou au séga créole avec un rare brio. Son premier opus, Hey Madagascar sorti à Paris en 1989, est d’ailleurs fortement teinté de rythmes créoles et de blues.

C’est cette capacité à jouer sur tous les répertoires qui lui avait ouvert les portes à l’étranger, enchaînant les festivals sur les cinq continents pendant trois décennies. Ses amis musiciens regrettent seulement que l’État n’ait pas su apprécier son immense talent à sa juste valeur. C’est à titre posthume qu’il a été élevé au rang d’ Officier de l’Ordre National.

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