L’agriculture biologique progresse à grands pas à Madagascar, portée par une demande croissante, une reconnaissance internationale et des efforts de structuration du secteur. Mais entre contraintes réglementaires, enjeux climatiques et défis économiques, le chemin reste semé d’embûches. Heriniaina Ramboatiana, président du SYMABIO (Syndicat malgache de l’agriculture biologique), nous dresse un état des lieux sans détour et partage les perspectives d’avenir pour cette filière porteuse de sens.
Quelle est la place actuelle de l’agriculture biologique
à Madagascar ?
L’agriculture biologique est en pleine croissance dans le pays. En quinze ans, les surfaces cultivées selon les normes bio sont passées de 14 000 à 114 000 hectares, et le nombre de producteurs impliqués a été multiplié par près de cinquante, atteignant aujourd’hui environ 200 000 agriculteurs. Cette dynamique se reflète aussi dans les chiffres économiques : le secteur génère actuellement un chiffre d’affaires annuel estimé à 250 millions de dollars, contre seulement 22 millions en 2009.
Les produits phares de l’exportation bio malgache – vanille, cacao, épices, huiles essentielles, crevettes – sont aujourd’hui très recherchés sur les marchés internationaux, notamment en Europe, aux États-Unis et au Japon. À cela s’ajoute une offre diversifiée en produits transformés : huiles alimentaires, fruits séchés, miel, ou encore produits cosmétiques naturels. Cette réussite repose également sur un cadre légal solide.
Le gouvernement a adopté une loi spécifique sur l’agriculture biologique ainsi qu’une stratégie nationale visant à encadrer et promouvoir la filière, avec l’appui des ministères concernés
Quels sont les principaux défis rencontrés par les producteurs bio à Madagascar ?
Les défis sont nombreux et parfois complexes. Le principal obstacle réside dans l’évolution constante des réglementations internationales, notamment la nouvelle législation européenne, bien plus exigeante en matière de traçabilité, de transparence et de contrôles qualité. Cette complexification entraîne une hausse considérable des coûts de certification, estimée à environ +300 % dans certains cas. Autre contrainte : les producteurs doivent désormais être organisés en structures formelles – coopératives ou associations – capables de gérer elles-mêmes les processus de certification. Or, toutes les communautés agricoles n’ont pas encore les capacités nécessaires pour fonctionner de manière autonome à ce niveau. À ces exigences réglementaires s’ajoutent les difficultés conjoncturelles : baisse de la demande bio dans certains pays du Nord en raison du pouvoir d’achat en berne, augmentation des taxes à l’importation, notamment aux États-Unis, ou encore les effets du changement climatique, qui rend l’agriculture plus imprévisible, avec des sécheresses récurrentes et une dégradation des écosystèmes. Face à cela, nous avons lancé des formations à l’agroécologie dans le cadre du projet KCOA, touchant déjà plus de 2 000 ménages. Nous travaillons aussi avec le FMFP pour renforcer la structuration des filières, et participons activement aux salons internationaux pour maintenir la visibilité et la crédibilité du bio malgache.
La demande locale pour les produits bio est-elle également en progression ?
Oui, on observe une nette progression de la demande sur le marché local. De plus en plus de consommateurs malgaches s’intéressent aux produits biologiques, notamment pour des raisons de santé, mais aussi par prise de conscience environnementale. Cette demande est alimentée par une offre toujours plus diversifiée et de meilleure qualité. On trouve aujourd’hui sur le marché local des produits bio transformés : jus de fruits, confitures, épices, huiles végétales, cosmétiques, etc.
Contrairement à une idée reçue, ces produits ne sont pas forcément plus chers que les produits importés. Ils sont souvent même plus compétitifs en termes de prix, car produits localement. C’est un levier important pour permettre au bio de s’installer durablement dans les habitudes alimentaires malgaches. Pour renforcer cette dynamique, nous organisons les 23 et 24 mai prochains la nouvelle édition du salon Biologika, un rendez-vous grand public dédié aux produits certifiés bio 100 % made in Madagascar. Au programme : expositions, dégustations, animations, mais aussi conférences autour de la transition écologique.
Quels sont les impacts positifs du bio sur l’économie et l’environnement ?
Les bénéfices sont multiples. Sur le plan économique, le bio contribue à créer des emplois pérennes et à valoriser les savoir-faire locaux. Grâce à des techniques agroécologiques (compost, biopesticides, rotation des cultures), les producteurs gagnent en autonomie et en compétence, ce qui se traduit par de meilleurs rendements et une augmentation durable de leurs revenus. Sur le plan environnemental, l’agriculture biologique protège les sols, préserve la biodiversité – notamment les insectes pollinisateurs comme les abeilles – et limite la pollution des nappes phréatiques. À Madagascar, où les sols ont été appauvris par des décennies d’agriculture intensive, d’engrais chimiques et de feux de brousse, le bio représente une solution concrète pour restaurer la fertilité naturelle. Enfin, il y a un réel enjeu de santé publique : en bannissant les pesticides et substances chimiques de synthèse, le bio protège les consommateurs des risques liés à l’exposition prolongée à ces produits, souvent associés à des maladies chroniques graves.
Quelles pistes pour renforcer et structurer davantage le secteur ?
La loi sur l’agriculture biologique est une avancée majeure. Elle ne se limite pas à encadrer les exportations mais vise aussi à structurer le marché local. L’EDBM participe activement à cette dynamique en facilitant les investissements et en valorisant le label bio malgache. L’un des projets les plus prometteurs, ce sont les TVAB – Territoires à Vocation à l’Agriculture Biologique. Ces zones regrouperont les différents acteurs de la filière (producteurs, transformateurs, distributeurs) afin de mutualiser les coûts de labellisation, sécuriser les chaînes d’approvisionnement et développer des pôles d’innovation et de visibilité. Nous réfléchissons également à développer des Indications Géographiques Protégées (IGP) pour mieux valoriser l’origine et la spécificité de nos produits.
Enfin, plusieurs partenaires comme la Banque Mondiale, l’AFD, l’Union Européenne ou la GIZ accompagnent déjà la structuration du secteur à travers des projets concrets. L’enjeu pour les prochaines années sera de renforcer les synergies entre l’État, le secteur privé, les ONG et les bailleurs pour faire du bio un moteur de développement économique, social et environnemental pour Madagascar.
Emerick Andriamamonjy
Contact : sesymabio@gmail.com