Il est interdit d’afficher les prix
4 novembre 2012 - FombaNo Comment   //   1117 Views   //   N°: 34

En Europe, les prix s’affichent. À Madagascar, ils se discutent. Résultats des courses, les marchandises sortent des magasins et transforment les rues de Tana en bazar et caravansérail à ciel ouvert, cauchemar des automobilistes, des passants et de la commune…

Le fameux slogan, « la chaussée aux automobilistes et le trottoir aux passants », est un rêve pieux qui veut reléguer le commerce entre quatre murs. Mais quatre murs, çà étouffe et empêche de se libérer d’une petite envie ou d’une petite folie. Un prix affiché apparaît comme péremptoire et n’en n’a rien à cirer qu’il ne vous reste plus que « ça » comme argent. Toute affichette se prévaut toujours d’un « juste prix ».

Puisque c’est affiché, ce ne peut qu’être vrai et toute discussion sera synonyme de pingrerie ou signe de mauvais goût, de mauvaise éducation manifeste. Il est curieux de constater que nous payons sans discuter dans les (grands) magasins alors que nous nous livrons à tout un théâtre pour la moindre petite chose dans la rue. Certes, dans la rue, on ne vendra pas des (vrais) parfums Dior ou des produits du terroir labellisés Hédiard, ou encore des sacs Hermès ou des châles en (vrai) Cachemire.

Mais on y trouvera tout ce qui est ersatz des rêves de Madame ou de la folie des grandeurs de Monsieur. Le tout dans un shopping sans complexe et personnalisé. On rit avec le vendeur, on rivalise d’arguments avec la vendeuse, on peut se permettre de minauder, de se plaindre de ses petits problèmes ou de la cherté de la vie, des écolages de ses chers petits, mais comme c’est tentant ! Quand le prix proposé est descendu de moitié ou de trois quarts, le démon tentateur accepte de satisfaire votre tentation.

L’honneur coûte cher d’être vu entrer dans un magasin et d’en sortir avec un paquet. Le magasin est solennel, policé, poncé, ciré, sans compter la vendeuse au sourire impersonnel, commercial. On n’y parle pas, on chuchote, on n’ose pas toucher, on montre du doigt, on n’ose pas demander le prix (il n’est pas affiché) de peur d’être obligé de faire une emplette hors de portée, car hors de prix.

Car on n’y marchande pas. Marchander constitue le tabou suprême. Aussi, on ne pénètre dans les magasins que contraint et forcé, de crainte d’une mauvaise surprise et d’une douloureuse déception. Et il manque le contact humain. Où donc est la propriétaire ? Rien qu’à voir une vendeuse sapée comme pour une photo de magazine, vous craignez qu’une reine de Saba n’apparaisse pour vous servir. Impensable.

Les Malgaches n’en ont pas encore fini avec l’instinct grégaire que les marchés de la Royauté ont entretenu depuis des siècles. On ne va pas au marché pour acheter, mais d’abord et surtout pour frayer avec du monde et rompre le carcan de l’isolement. Nous ne faisons pas les courses, encore moins du shopping, nous allons vers les autres. C’est aussi simple que cela. 

Par Mamy Nohatrarivo

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