Hugues Rajaonson : Notre sous-sol à lui seul pourrait faire décoller le pays
10 novembre 2017 - ÉcoNo Comment   //   2586 Views   //   N°: 94

Le riche potentiel du sous-sol malgache peine à se structurer en un véritable levier de développement. A défaut d’une politique minière intégrée, le secteur se noie dans l’informel et les actes de banditisme. Hugues Rajaonson, ancien secrétaire générale du ministère de l’Énergie et des mines, nous livre son point de vue.

« On a tendance à diaboliser les grandes mines, mais ce sont elles qui emploient le plus… »

Parlez-nous du potentiel minier malgache…
Christian Lacroix a découvert les mines malgaches dans les années 1900 et a fait la carte géologique de Madagascar. C’est à partir de là qu’on s’est intéressé à la richesse minière de la Grande Île. Le potentiel minier malgache est dû à la géo-diversité exceptionnelle de l’île. On peut citer les pierres précieuses comme le rubis, le saphir et surtout l’or qui est présent sur tout le territoire malgache, mais aussi les minéraux métalliques et industriels tels que le nickel, le cobalt ou encore l’ilménite qui ont attiré les investissements directs étrangers. Malheureusement, ces trésors sous-terrain ont du mal à offrir aux Malgaches des retombées économiques signifiantes.

Justement, comment se porte ce secteur aujourd’hui ?
Très mal, car tout se fait au noir. Il faut d’abord savoir que le secteur se divise en deux catégories, les petites et les grandes mines. Les petites mines rassemblent l’or, les pierres précieuses et semi-précieuses. Elles relèvent de l’économie souterraine. Les retombées sont plus qu’insignifiantes puisque tout se fait au noir.

 Il n’y a ni taxe, ni cotisation et encore moins création d’emplois. Le petit exploitant revend directement aux Sri-Lankais, Thaïlandais et Africains installés ici. Les petites exploitations n’interviennent aucunement dans le développement socio-économique de la zone d’exploitation et encore moins au niveau national. Aucune transaction n’est donc retraçable et rien ne va dans la caisse de l’État. On a ensuite les grandes mines exploitées par Qit Madagascar Minerals (QMM) professionnalisées dans l’exploitation d’ilménite et de zirsill à Tolagnaro et le projet Ambatovy à Toamasina, spécialisé dans l’exploitation de nickel et de cobalt. Bien que ces exploitants soient mal vus par la société malgache, il n’est pas à nier qu’ils contribuent aux recettes de l’État malgache.

En quoi est-ce que les grandes mines contribuent aux recettes de l’État ?
Rien qu’avec sa formation brute de capitale fixe, Ambatovy a apporté 7 milliards de dollars (21 000 milliards d’ariary) et QMM 3 milliards de dollars (9 000 milliards d’ariary). C’est ce qui a fait grimper le produit intérieur brut (PIB) à Madagascar de 15 milliards de dollars (46 000 milliards d’ariary). En 2013, le secteur extractif a représenté 14 % des recettes fiscales et ces grands exploitants y sont pour quelque chose.

Il y a aussi la redevance de 1 % du chiffre d’affaires par an qu’ils reversent à l’État. Il faut bien expliquer aux Malgaches que c’est un droit d’exploitation, et dans aucun pays du monde ce type de droit ne peut atteindre les 25 % comme le réclament certaines personnes. D’ailleurs, les Malgaches ont tendance à diaboliser les grandes mines. Pourtant, ce sont celles qui emploient le plus de personnes comme le cas d’Ambatovy avec 18 500 emplois directs durant la phase de constructrion. Imaginez si on pouvait ajouter toutes les bénéfices des petites mines à ce engouement, cela permettrait à Madagascar de sortir de son état de pauvreté latent.

On reproche souvent le manque de transparence des recettes minières. Pourquoi ?
Pour le cas des grandes mines, c’est transparent et les grands exploitants ne peuvent pas tricher. Cependant, toutes ces recettes sont directement reversées dans la grosse caisse de l’État et après on ne sait pas exactement leur utilisation. Voilà pourquoi il faudrait une politique publique minière qui fasse état en toute transparence de l’utilisation des recettes minières pour le développement de Madagascar.

Madagascar est un pays à risque élevé en matière d’investissement. Votre avis ?
C’est le problème fondamental du secteur minier. Même les riches Malgaches n’osent pas investir dans ce secteur car c’est un investissement à très haut risque. Les banques n’accordent pas de crédit aux projets miniers. Ils ont peur d’entrer dans un secteur où règne la mauvaise gouvernance. En effet, même si près de 4 000 permis miniers ont déjà été distribués, cela n’a pas d’importance. Lorsque les petits exploitants trouvent par exemple de l’or dans un endroit précis, cela se sait très vite et on assiste à une ruée minière. Des bandits équipés de 4×4 et de fusils arrivent ensuite sur le site pour piller les petits exploitants. Ce secteur est très dangereux et privilégie la loi du plus fort. Le meurtre est la monnaie courante et le secteur profite à une minorité. Il est aussi à mentionner que les forces de l’ordre en charge de la sécurité sont en manque d’effectif.

Parlez-nous du cadre législatif…
Il existe bien sûr un cadre législatif mais malheureusement on a mis la charrue avant les boeufs. Normalement, il faut des lois pour atteindre les objectifs d’une politique minière et nous avons fait le contraire. La Loi n°99-022 du 30 août 1999 a instauré un Code minier mais cela ne permet pas une exploitation rationnelle et durable des ressources minières. Il nous faut impérativement une politique mésoéconomique minière qui intègre la production, la transformation, l’épuisement de la mine, la restauration du sol et l’exportation.

Quelles seraient les grandes lignes de cette politique ?
Cette politique minière devrait intégrer toutes les chaînes de valeur de la filière y compris les petits exploitants. Cela permettrait par exemple de cerner les zones d’exploitation avec un contrôle règlementé de toute transaction. La mise en place d’une telle politique pourra également intégrer le secteur foncier ce qui mettrait fin à des problèmes fonciers comme celui de Soamahamanina qui a suscité tant de polémique sur l’occupation de sol par des ressortissants chinois. Enfin, cette politique permettra de mettre fin à l’exportation illicite de pierres précieuses dont les principaux instigateurs sont les Sri-Lankais, Thaïlandais, Chinois et Indiens. Ce problème est dû à la corruption voilà pourquoi la politique minière devrait intégrer l’administration fiscale. Un travail de longue haleine qui suscite la bonne volonté de l’État, si tant est qu’il y en a.

Parlez-nous du Mining Business Center…
C’est une plate-forme qui peut mettre en relation l’administration minière et tous les opérateurs du secteur minier sur le territoire. Créé par le Bureau des cadastres miniers de Madagascar, il s’agit d’un guichet unique qui facilite toutes les démarches administratives. Cependant, cette plate-forme n’intégrera pas les 500 000 petits miniers recensés car ces derniers n’ont aucun intérêt à faire savoir leurs transactions. Les Malgaches sont de nature égoïstes. C’est dommage pour un pays dont le sous-sol à lui tout seul peut faire décoller l’économie de toute une nation.

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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