Harizoly Razafimandimby : « Le poivre sauvage est en danger »
18 juin 2019 - ÉcoNo Comment   //   2952 Views   //   N°: 113

La demande en poivre sur le plan international est en hausse, notamment celle du « tsiperifery », du poivre sauvage, endémique de Madagascar. Son exploitation incontrôlée entraîne aujourd’hui une perte en qualité du produit à l’exportation et sa raréfaction. Si rien n’est fait pour assurer la durabilité de la filière, la note risque d’être salée, prévient Harizoly Razafimandimby du Fofifa.

Harizoly Razafimandimby
Docteur en Sciences Agronomiques et Environnementales

Le poivre est-il un produit important pour nos exportations ?
C’est l’une des épices phares de la côte est de Madagascar. Les autres zones de cultures se trouvent au nord et au nord-est, pour une production annuelle nationale estimée à 2 200 tonnes. Le poivre fait ainsi partie des cultures de rente les plus connues à Madagascar avec la vanille, le café et le girofle. Sur le marché international, il coûte en moyenne 6,5 dollars le kilo, les États-Unis, l’Allemagne et le Sri Lanka en étant de gros consommateurs. Le poivre représente donc un enjeu majeur dans l’économie malgache même s’il n’est pas aussi réputé à l’étranger que notre vanille ou notre girofle. Il est même concurrencé par ces deux cultures. On assiste ainsi à un vieillissement des plantations dû au non-renouvellement des souches, ce qui fait chuter la production et la qualité. Depuis les années 1970, la production n’a cessé de diminuer, une diminution de 19 % en 30 ans.

Pourquoi le « tsiperifery » intéresse-t-il de plus en plus le marché international ?
Parce que c’est un produit à la fois sauvage et endémique, donc il n’y a pas de concurrence à l’extérieur, comme c’est le cas pour le poivre noir ou la baie rose originaires de l’Inde et de l’Asie tropicale.

« C’est un produit endémique, qui n’a pas de concurrence à l’extérieur comme c’est le cas pour le poivre noir ou la baie rose. »

Il présente aussi des caractéristiques organoleptiques « uniques », mises en avant par les plus grands cuisiniers et épiciers européens. Depuis son apparition sur le marché international, aux environs de 2004, la filière est en pleine expansion, c’est même devenu un produit emblématique de Madagascar. L’exploitation du tsiperifery se fait dans trois principales régions forestières que nous appelons « bassins de collecte » : le corridor d’Anjozorobe Angavo de la région Analamanga, où les premières exploitations ont eu lieu, le corridor de l’Ankay entre Moramanga et Anosibe An’ala et enfin aux alentours du parc national de Ranomafana à Fianarantsoa.

Le « tsiperifery » est donc devenu une véritable activité génératrice de revenus (AGR) ?
Une source de revenus importante pour les acteurs locaux (cueilleurs, revendeurs, exportateurs) surtout pendant la période de soudure étant donné que la maturation des fruits coïncide avec cette période. Mais le problème vient des exportateurs qui ont de plus en plus de mal à honorer la commande, en raison précisément des mauvaises conditions de récoltes.

« Entre 2012 et 2014, le volume d’exportation du poivre sauvage a chuté de 50 %. »

En 2012, l’exportation a été estimée à 50 tonnes ; en 2014, elle a été évaluée à 25 tonnes, soit une chute de 50 %. Ces chiffres sont à prendre avec précaution car l’évaluation est basée sur des résultats d’enquêtes et les données sur le tsiperifery sont loin d’être suffisantes.

Où cela cloche-t-il ?
Le tsiperifery est une grande liane qui peut grimper à plus de 20 mètres sur les arbres tuteurs en forêt. Mais les cueilleurs ont tendance à abattre la liane avec le tuteur pour pouvoir cueillir les grappes. Cette méthode anarchique et destructrice est à l’origine de la raréfaction des pieds fructifères, plus précisément des pieds femelles sachant que la plante est dioïque : pieds mâle et femelle sont séparés comme chez les papayers. Cela détruit également l’habitat. Actuellement, les forêts qui ont déjà fait l’objet d’exploitation de tsiperifery n’abritent presque plus de pieds fructifères. Les cueilleurs mettent une semaine pour récolter les quantités qu’ils récoltaient auparavant en une journée. La difficulté de la cueillette et la raréfaction de la ressource impactent également la qualité des produits car les grappes non matures sont collectées sans discernement.

Quelles sont les mesures prises pour relancer la filière ?
Ce constat a emmené le Ministère de l’Agriculture à relancer la filière. Pour faire face à cette situation d’urgence, un consortium de chercheurs venus du Centre national de recherche appliquée au développement rural (Fofifa), de l’Université d’Antananarivo et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) travaillent actuellement dans le but de développer des connaissances scientifiques pour accompagner une filière durable de Tsiperifery. Nos actions se concentrent sur la sensibilisation des différents acteurs de la filière : cueilleurs, exportateurs, administrations. Des recherches ont également lieu sur la domestication et la mise en place d’une marque collective liée à la qualité et à l’origine du produit.

Qui sont les principaux pays importateurs ?
Les principales demandes sont la France, la Suisse et les États- Unis. Sur le marché européen, le kilo se vend entre 160 et 180 euros. Dans les épiceries de luxe, on trouve des flacons de 20 g à 20 euros. La principale utilisation au niveau international est alimentaire en tant qu’épice, comme le poivre ordinaire. Par exemple, on voit des chocolats aux poivres sauvages de Madagascar. On compte une dizaine de sociétés qui en font l’exportation.

Qu’en est-il de sa consommation locale ?
Elle n’est pas très développée, même si le produit commence à se faire connaître au niveau national avec sa reconnaissance sur le marché international. L’utilisation traditionnelle la plus connue est pour faire de la pâte de piment (sakay). Les différentes parties de la plante sont aussi destinées aux pratiques médicinales. Les feuilles, par exemple, sont des cicatrisants très efficaces, d’où le nom de tsiperifery (sans cicatrices).

Contact
Harizoly Razafimandimby :
034 51 358 55 / mandimbizo@yahoo.fr 

Propos recueillis par #AinaZoRaberanto

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