Gabriel Sarasin : La vanille malgache est en difficulté
6 septembre 2016 - ÉcoNo Comment   //   3388 Views   //   N°: 80

Madagascar demeure le premier producteur mondial de vanille naturelle. Mais pour combien de temps encore ? S’interroge Gabriel Sarasin, le représentant pour Madagascar de l’Association nationale des entreprises coopératives / Ligue coopérative des Etats-Unis – NCBA CLUSA. Spéculateurs, trafiquants mafieux, le bilan est lourd.

La moitié ou les trois-quarts (selon les années) de la vanille qui circule dans le monde est malgache et vous dites que la filière se porte mal ?

Elle rencontre aujourd’hui d’énormes difficultés, dues principalement au fait qu’elle n’arrive pas à se structurer. D’où ces mauvaises pratiques qu’on relève un peu partout, comme de cueillir de plus en plus prématurément les gousses de vanille verte, avec comme conséquence qu’elles ne remplissent plus les conditions optimales pour l’export. Il faut savoir que la vanille malgache, jusque-là réputée la meilleure du monde, n’a plus qu’un taux de vanilline de 0,8 à 1,2 % alors que la norme internationale est de 1,7 à 2,4 % ! Une mauvaise pratique corollaire qui touche cette activité est le recours systématique à l’emballage sous vide ; il permet d’acheter de grandes quantités de vanille avant maturité, parfois trois mois avant la récolte

et donc à prix bas, pour ensuite les revendre au prix fort à l’ouverture officielle de la campagne de commercialisation. L’emballage sous vide est d’ailleurs interdit par un arrêté ministériel de 2016.

C’est ce qui explique que depuis quatre ans, le prix d’achat de la vanille n’arrête pas de flamber ?

Les prix ne sont plus fixés par l’État comme c’était le cas en 1989. Rien n’est officiel dans ce secteur, les prix sont libres et n’arrêtent pas de grimper du fait de la spéculation des intermédiaires qui achètent auprès des petits planteurs et se chargent d’approvisionner le marché. Certains, par le stockage sous vide, raréfient délibérément le produit de façon à faire grimper le cours. On peut faire de véritables fortunes comme ça. Il n’est donc pas étonnant si le prix du kilo a augmenté par plus de six fois au cours de ces trois dernières années.

 Malheureusement, à coup sûr, les prix chuteront dans les prochaines années. L’histoire nous rappelle qu’à la suite d’une trop forte hausse, une chute dévastatrice peut nous attendre l’année suivante. Ce sont malheureusement les producteurs qui vont en souffrir le plus, comme les intermédiaires pourront investir leur argent dans d’autres filières.

Un opérateur a même dénoncé l’existence d’une mafia de la vanille…

Cela revient souvent dans les rapports que nous recevons. On dit que la vanille est reliée au blanchiment d’argent dans le cadre des affaires bois de rose. Au vu du cours actuel de la vanille et du « laisser-aller » qui règne dans ce secteur, notamment l’absence de traçabilité, on peut dire que c’est la filière idéale pour toutes sortes de pratiques mafieuses. Dans la région Sava , il est notoire que commerce de bois de rose et vanille vont de pair. Il faut aussi savoir que du côté des petits planteurs, l’insécurité est galopante. On assiste à une recrudescence des vols de gousses sur pied et les autorités locales n’arrivent pas à maîtriser la situation, faute de moyens. C’est ce qui explique aussi que les paysans préfèrent cueillir la vanille bien avant le début de la saison, quitte à miner la qualité des gousses.

Où et comment intervenir ?

Il faut agir contre l’inorganisation qui règne dans ce secteur. Aucune coopérative ne s’est créée par la seule volonté des planteurs qui ont plutôt tendance à travailler chacun de leur côté. Pourtant, si une coopérative fonctionnait dans leur région, elle pourrait créer un lien direct avec les exportateurs et les acheteurs internationaux, coupant l’herbe sous le pied des spéculateurs. Certains exportateurs ont bien investi dans la création de structures coopératives de producteurs et de centres de formations. Ces exportateurs ont maintenant un avantage compétitif pour leur approvisionnement. Toutefois, dans la majorité des cas, les paysans préfèrent se tourner vers les intermédiaires qui offrent des prix tout de même élevés, créant aussi les conditions favorisant le vol de la vanille.


NCBA CLUSA
100 ans de coopération

« Un siècle d’appui aux coopératives pour bâtir un monde meilleur. » Tel est le slogan qui accompagne cette année la célébration du centenaire de l’Association nationale des entreprises coopératives CLUSA International (NCBA CLUSA). Fondée en 1916 aux États-Unis, sa mission est de faire évoluer le mouvement coopératif à travers le monde. NCBA CLUSA travaille depuis 35 ans dans le secteur de la vanille en Indonésie et a créé l’entreprise Cooperative Business International (CBI) qui fournit maintenant de grands acheteurs aux Etats-Unis. NCBA CLUSA vient maintenant capitaliser cette expérience à Madagascar, où il est actif depuis près de deux ans et débute un programme pour renforcer la filière vanille dans la Région SAVA. Travaillant dans les Régions Vatovavy Fitovinany (Sud-Est), Atsinanana (Est) et Atsimo Andrefana (Sud-Ouest) dans le cadre du projet Fararano financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), NCBA CLUSA tente notamment de professionnaliser les filières en favorisant l’acquisition de compétences de base, par exemple en gestion financière, en management de coopérative ou organisation commerciale.


Cercle vicieux. Pour la sécurité, des dina be pourraient aussi être mis en place et couplés à un meilleur système de traçabilité de la vanille.

Vous dites que la crise est imminente ?

Si la chute de qualité associée à la flambée des prix persiste, les acheteurs internationaux risquent de se tourner vers les autres pays producteurs de vanille comme l’Indonésie, l’Ouganda, le Vietnam ou éventuellement l’Inde. Sans compter que la vanille naturelle que nous produisons est de plus en plus concurrencée par la vanille de synthèse, beaucoup moins chère actuellement. Il faut impérativement renforcer la sécurité et implémenter les lois relatives à la production et à la commercialisation de la vanille. Nous saluons toutefois plusieurs efforts tels que ceux de la Sustainable Vanilla Initiative qui incluent les plus gros acheteurs mondiaux de vanille en vue de favoriser l’échange de connaissance et de mettre une pression sur les acteurs en amont de la filière. La Plateforme nationale vanille, seule structure reconnue par l’Etat pour favoriser les échanges entre les parties prenantes du secteur, mène aussi plusieurs actions malgré les difficultés du secteur. Cette interview ne reflète en aucune mesure les positions de NCBA CLUSA, du Projet Fararano ou de l’USAID.

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

COMMENTAIRES
Identifiez-vous ou inscrivez-vous pour commenter.
[userpro template=login]