Fidy Andriamamonjy Harijaona : « Le miel malgache ne demande qu’à redécoller »
6 mars 2018 - ÉcoNo Comment   //   6387 Views   //   N°: 98

Troisième source de devises de Madagascar dans les années 1940, le miel peine aujourd’hui à retrouver sa valeur économique. Le manque de structures, de professionnalisation et de politique apicole sont les principaux blocages, comme l’explique Fidy Andriamamonjy Harijaona, consultant en apiculture et président d’Apimadagascar.

Dans les années 1920-1940, Madagascar était un grand producteur et exportateur de miel. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Madagascar a exporté 38 000 tonnes de miel liquide en 1929, 20 400 tonnes en 1930, 25 690 tonnes en 1950, jusqu’à l’arrêt total des exportations après 1950. C’est la preuve qu’à cette époque, le miel figurait parmi les principaux produits d’exportation du pays. La consommation par tête était de 4 kg par an à cette époque. Actuellement, la majorité des Malgaches ne consomment du miel que traitement de maladies, comme la toux ou la spasmophilie. En 2010, avant l’arrivée de la varroase (une maladie provoquée par un parasite de l’abeille), la production de miel à Madagascar était d’environ 4 400 tonnes. Les pertes de colonies d’abeilles dans les principales zones de production, à cause de cette maladie, ont réduit considérablement la production. Après l’arrêt des exportations en 1951 et en raison de l’insuffisance de débouchés, malgré les appuis des différents organismes de développement, peu de paysans se sont intéressés à l’apiculture. C’est pourquoi plus de 80 % des miels actuellement disponibles sur le marché local sont issus de l’apicueillette ou de collectes de miel sauvage dans la forêt, alors que la demande au niveau national et international ne cesse d’augmenter d’une année à l’autre.

« Plus de 80 % des miels disponibles sur le marché local sont issus de la collecte de miel sauvage. »

Apimadagascar, pour une apiculture solidaire

Apimadagascar est un réseau d’acteurs malgaches et étrangers passionnés d’apiculture. Le rôle de cette association est de promouvoir les échanges Nord-Sud et Sud-Sud pour valoriser les produits issus de l’apiculture à Madagascar. Ces échanges ne se limitent pas à la diffusion d’informations techniques et commerciales, il y a également échange des bonnes pratiques entre les acteurs. Apimadagascar effectue également des appuis techniques et organisationnels aux apiculteurs en mobilisant ses membres à Madagascar et à l’étranger. La plate-forme apicole africaine (AAP) est, pour sa part, un espace d’échange sur la filière en Afrique. Elle a pour mission de renforcer les échanges multi-acteurs africains afin de proposer des stratégies au niveau du continent pour le développement de la filière miel, notamment sur la commercialisation, la santé des abeilles et les services de pollinisation.

La protection de l’environnement joue-t-elle un rôle important dans le développement de la filière ?
Tant qu’il n’y aura pas une vaste zone de production de plantes mellifères à Madagascar, la forêt et les savanes constitueront les principales sources de nourritures et de réserves pour les colonies d’abeilles. La protection de l’environnement constitue ainsi un pilier pour le développement de la filière. Les fumées générées par les feux de brousse et la fabrication de charbon de bois nuisent au développement de l’apiculture dans plusieurs régions. Mais il y a aussi, depuis quelques années, les effets néfastes du changement climatique qui entraînent la diminution des ressources en eau, la perturbation des périodes de floraison et les variations de températures…

L’inexistence d’une politique apicole a entraîné le déclin de la filière…
Ce déclin est causé par plusieurs facteurs économiques, environnementaux, sociopolitiques, mais effectivement, son fondement est basé sur l’inexistence de politique apicole et de stratégies claires pour le développement de la filière. Sous l’administration française, les miels destinés à l’exportation provenaient majoritairement des apicueilleurs qui falsifiaient allègrement leurs produits vendus à moindre coût aux colons. Ces miels souvent fermentés vont finalement provoquer l’interdiction des exportations vers Europe dans les années 1950. Un embargo qui ne sera levé qu’en 2013 ! Une politique apicole et des stratégies de développement efficaces, basées sur une bonne gestion des ressources mellifères, seront incontournables pour valoriser le miel et sa production à Madagascar afin de générer d’autres sources de revenus pour les paysans.

Pourquoi vouloir soudain professionnaliser la filière ?
Généralement, l’apiculture est une activité annexe pour les paysans. Le nombre d’exploitants apicoles est de 8 692 mais seulement 30 % d’entre eux pratiquent l’apiculture moderne (ruche à cadres ou à barrettes), tandis que 70 % pratiquent les techniques traditionnelles dont l’apicueillette. Les miels sont souvent vendus sur les marchés informels ainsi il n’y a pas de statistiques récentes sur la production malgache. Plusieurs matériels nécessaires à l’apiculture, au traitement du miel et à l’emballage sont proposés à des prix exorbitants car ils sont presque tous importés,

alors que le marché du miel n’est pas stable. Les techniciens apicoles sont également insuffisants pour vulgariser ces nouvelles techniques. Cependant, il existe des initiatives au niveau des apiculteurs et des organismes d’appuis pour se structurer. Dans les neuf grandes zones de production, il y a des organisations paysannes regroupant les apiculteurs. Au niveau national, il y a la Fenam (Fédération nationale des apiculteurs malgaches). En 2017, la plate-forme nationale Papim (Plateforme apicole de Madagascar) a été mise en place. Néanmoins, la professionnalisation est encore en chantier face aux différentes contraintes.

Le problème de la commercialisation du miel est-il lié au mauvais état des routes ?
Le mauvais état des routes est une des causes du problème car les principales zones apicoles, situées aux alentours des forêts, se trouvent dans des zones difficilement accessibles. Mais les principaux agents contre la commercialisation sont le non-respect des normes et des qualités de miel, l’insuffisance des laboratoires d’analyses pouvant certifier l’authenticité des produits, le manque d’informations sur les marchés internationaux ainsi que les coûts annexes aux productions : transports, tarifs douanières, emballages… La mise en relation des apiculteurs avec les opérateurs économiques professionnels pour un partenariat gagnant-gagnant constitue donc une solution efficace pour améliorer la commercialisation du miel.

Malgré toutes ces contraintes, le miel malgache a-t-il des chances de se positionner à l’international ?
Parmi les 23 races d’abeilles dans le monde, l’abeille malgache dénommée Apis mellifera var.unicolor est endémique à Madagascar. C’est une race travailleuse (en présence de ressources mellifères suffisantes, une colonie peut produire jusqu’à 15 à 25 kg de miel), docile et facile à élever par rapport à d’autres races agressives. Madagascar est classé en septième position pour la production de miel en Afrique. C’est toutefois minime par rapport aux 390 000 tonnes annuelles de la Chine (1er rang mondial) ou par rapport à la production mondiale estimée à 1,6 million de tonnes en 2011. Pour autant, l’existence de plusieurs typicités de miels à goût unique et que l’on ne trouve qu’à Madagascar constitue un atout majeur pour se positionner sur le marché international, et ces miels pourraient être vendus à meilleurs prix.

A part la vente de miel brut, existe-t-il d’autres produits dérivés pour relancer la filière ?
Le miel n’est pas le seul produit de l’apiculture. Le kilo de cire est plus cher qu’un kilo de miel, mais il y a d’autres produits associés comme le pollen, utilisé dans les produits pharmaceutiques et cosmétiques, les venins d’abeille, les gelées royales (un produit à forte valeur ajoutée), la propolis ainsi que les produits dérivés comme les hydromels et les aromiels utilisés pour l’apithérapie. Néanmoins, les techniques de production restent encore méconnues et peu pratiquées à Madagascar. La pollinisation des champs par les abeilles pourrait aussi être développée avec les agriculteurs. Dans des pays développés, les agriculteurs paient les apiculteurs qui installent des ruches dans les champs pour renforcer la pollinisation. Le lancement de ces produits associés figure parmi les stratégies pour relancer cette filière.

Contact
Fidy Andriamamonjy : 034 38 774 45 / 032 99 770 93

Propos recueillis par #AinaZoRaberanto

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