Fady kambana : Le tabou des jumeaux
5 septembre 2018 - Grand AngleNo Comment   //   5317 Views   //   N°: 104

Chez les Antambahoaka de la côte Sud-Est, dans la région de Mananjary, élever des jumeaux est « fady » (tabou). Une pratique ancestrale toujours en vigueur qui consiste à rejeter les jumeaux à la naissance ou à les abandonner. Autrefois, ils étaient tués ou l’un des deux était exclu du village. Mais certaines mères ont décidé de garder leurs enfants quitte à être mis au ban de la communauté.

Olivine avec ses jumeaux Tolotra Niaina Fanomezana et Hery Fahasoavana (2014)
Chez les Antambahoaka, les jumeaux sont considérés comme portant malheur et abandonnés à la naissance, voire tués dans le passé. Ces portraits familiaux réalisés avec l’aide du Pnud de Madagascar montrent les mères qui ont fait le choix de braver le tabou. Elles se sont regroupées et forment l’association Tsy Manary Zaza afin de s’entraider.

L’origine du fady kambana ou « tabou des jumeaux » reste inconnue. La légende explique que le premier Antambahoaka aurait épousé une femme qui est décédée après avoir accouché de jumeaux. Ses deux autres épouses ont subi le même sort. Il a donc décidé que ses descendants n’élèveraient plus jamais de jumeaux. Dans la région, les jumeaux, quel que soit leur sexe, sont donc considérés comme maléfiques voire démoniaques.

En 2008, le Centre d’analyse et de prospectives sur le développement de Madagascar (Capdam) a réalisé une enquête sur le fady kambana à la demande du Comité des Nations Unies sur le droit des humains. Un ouvrage a d’ailleurs été édité : Les jumeaux de Mananjary entre abandon et protection, expliquant que les bébés abandonnés ont une faible espérance de vie car ils sont laissés au pied d’un arbre ou aux bords des routes. Cependant, certaines familles préfèrent les placer dans des structures d’accueil, comme le Centre d’accueil et de transit des jumeaux abandonnés (Catja), ou les faire adopter par des parents proches.

Par amour pour leurs enfants, des mères ont cependant décidé de rompre le serment des ancêtres, en les gardant. Au risque d’être rejetées par leur conjoint, leur famille et la communauté, exclues du tombeau familial, les mettant ainsi dans une grande précarité qui alimente d’autant plus la croyance au tabou. En 2013, l’association Tsy manary zaza (On n’abandonne pas ses enfants) a été mise en place grâce à l’appui du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud) pour défendre le droit des enfants et aider les parents à élever leurs jumeaux.

Parmi ses mères, on retrouve Ornella Caroline, mère de jumeaux à trois reprises : Carlos, Carenah, Carole, Carla, Cardo et Careca. « Nous avons rencontré des problèmes quand nous habitions à Andovosira à cause du tabou des jumeaux. Et puisque nous avons encore eu des jumeaux les deuxième et troisième fois, nous n’avons eu d’autres choix que de déménager. Nous vivions de petit commerce et aujourd’hui, nous sommes aussi dans la couture. » Quant à Sylviane, mère de Sylvain et Sylvano, sa famille, y compris son conjoint, les ont abandonnés. « J’avais 30 ans quand je leur ai donné la vie. Ma famille m’en voulait d’avoir fait des jumeaux. C’est une famille très conservatrice. Mon mari avait même évoqué la possibilité de confier les enfants à quelqu’un d’autre. Je n’ai pas accepté. Ce sont mes enfants, ma vie ! » La plupart de ses mères suivent des formations dispensées par le Pnud pour apprendre à subvenir aux besoins de leur famille et retrouver une vie plus décente.

Jacqueline avec ses filles Odette et Odile (2014)
« Il y avait vraiment des difficultés dans l’éducation des jumeaux chez nous. Ils n’ont pas le droit de jouer avec les autres enfants. On les critiques, on dit du mal d’eux. On ne peut pas les emmener à la Tranobe (Maison sacrée) et pourtant c’est la tradition de Mananjary. J’ai fait l’effort de les élever même si cela n’est pas accepté dans notre communauté. Beaucoup m’ont critiquée mais je suis allée outre. »

Florette avec ses enfants Joseph et Flavienne (2016)
« Pour vivre et faire vivre mes enfants, je dépends du petit commerce. Nous habitons à Fangato auparavant. Nous avons eu des problèmes à la naissance des jumeaux. La famille nous en voulait. On venait de célébrer le Sambatra et on nous a interdit l’accès au Tranobe. L’existence de l’association Tsy Manary Zaza m’a beaucoup aidé car nous vivons dans l’harmonie ici, sans aucune critique. »

Telovavy Ortancia et ses jumeaux, Lucas et Michael.
« A Ankadirano, en tant que mère-célibataire de jumeaux, ce n’est pas facile de subir tous les affronts. Les critiques fusent de toute part mais je n’ai pas ménagé mes efforts pour élever mes enfants. Même si notre entourage critiquait, ma mère ne m’a pas abandonnée. Notre demeure n’est pas loin du Tranobe et nombreux disent que ce n’était pas acceptable. Il n’y a pas d’autres lieux où nous pouvons déménager et la vie est trop dure pour se permettre de louer une autre maison. En adhérant à l’association, j’ai eu beaucoup d’avantages. J’ai suivi une formation du Pnud qui m’a épanouie et que je voudrais que cela se poursuive. »

Ornella Caroline avec ses enfants Cardo/Carena et Carlos/Carla. (2016)
« Nous avons connu la dignité humaine au sein de l’association Tsy Manary Zaza. Nous n’étions plus victimes de discrimination car nous élevons tous des jumeaux. Les projets du PNUD ont eu de bons impacts sur nos vies. Nous avons pu développer notre couture. Nous avons bénéficié de nombreuses formations. Nous souhaitons d’ailleurs que ces formations se poursuivent. »

Zafymao et ses deux fils, Hernando et Fernando. (2016)
« La famille et la communauté nous en voulaient amèrement. Nous habitions près du Tranobe. Si jamais une personne tombait malade autour de nous, on pointait le fait que j’élève des jumeaux. Le père de mes enfants s’est remarié et n’est plus là. Je voudrais changer ma vie et c’est pourquoi je déploie beaucoup d’efforts dans le cadre de l’association. »

Sylviane avec ses fils, Sylvain et Sylvano. (2016)
« Je remercie ma mère d’être restée avec nous et je ne regrette pas d’avoir gardé mes jumeaux. Je me moque des dires de la communauté. Mon époux s’est mis avec une autre femme. Mes enfants ne passent pas souvent le voir. Je suis dans le petit commerce. J’ai gagné en capacité de gestion en suivant les formations dispensées par le Pnud. »

Photos : Christian Sanna

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