David Olivaniaina Rakoto : « On importe tout, on ne produit plus rien »
6 février 2018 - ÉcoNo Comment   //   2107 Views   //   N°: 97

Économiste chevronné et membre du conseil d’administration du Cercle de réflexion des économistes de Madagascar, David Rakoto nous parle des enjeux d’une industrialisation durable par les Malgaches et pour les Malgaches.

Parlez-nous de l’Alliance pour l’industrialisation durable de Madagascar, récemment mise en place…
Le pays ne peut avancer sans une véritable industrialisation. Pourtant, Madagascar est très en retard puisqu’il est à la 116e place sur 133 pays en matière de compétitivité industrielle avec un score de 0,055 ─ 1 marquant la forte compétitivité et 0 étant médiocre. En 2015, les industries créées ne dépassent pas le million et n’arrivent pas de ce fait à assouvir la demande des 22 millions d’habitants. Un pays où règne l’inflation et qui n’arrive pas, de ce fait, à sortir de la trappe de la pauvreté , avec un taux passé de 74 % en 2002 à 92 % en 2015. En 13 ans, on a recensé près de 5 millions de nouveaux pauvres. Il est temps d’industrialiser pragmatiquement le pays, d’où la création de l’Alliance en décembre dernier, regroupant le Syndicat des industries de Madagascar (SIM), le groupement du patronat Fivmpama, la Conférence des travailleurs de Madagascar (CTM), la Solidarité syndicale de Madagascar (SSM) et le Cercle de réflexion des économistes de Madagascar (Crem).

Le problème de l’industrialisation n’est-il pas lié à la défaillance de la politique commerciale ?
Nous vivons dans un pays où règne le paradoxe. On dit que Madagascar est pauvre alors que la croissance économique est entre 4,2 et 4,7 %, ce qui est deux fois plus élevée que la moyenne des pays africains et européens. Le profit tiré de la richesse produite profite à une minorité, notamment les hauts placés, les intellectuels et surtout les étrangers. Le marché malgache est envahi par des businessmen, des spéculateurs et des étrangers qui ne pensent qu’à leur profit à court terme. C’est ce qui entraîne la fluctuation des prix. Ce fléau est dû à la défaillance de la politique commerciale, en particulier de la politique fiscale. Les produits importés payent moins de droits, d’impôts et de taxes que ceux qui sont produits localement. On peut le constater rien qu’on observant le coût des produits importés largement inférieurs à ceux produits par les industries malgaches.

Qu’en est-il de la rentabilité de l’industrie locale ?
Investir dans l’industrie n’est pas profitable à Madagascar, à cause du problème de rentabilité. Le taux d’intérêt bancaire est élevé, jusqu’à 25 % alors qu’il est de 3 % dans les pays asiatiques qui sont de bons exemples en matière d’industrialisation. Pourtant, il est tout à fait possible de baisser ce taux d’intérêt à 3 % en créant une banque de développement local. Si le taux d’intérêt est de 25 %, le porteur du projet d’industrie pourrait payer les 3 % et l’État les 22 % via la banque locale. Il est à noter que la recette de l’État atteint les 3 000 milliards d’ariary par an. En réduisant les dépenses superflues, notamment les indemnités de déplacement, les voitures, les femmes de ménage, etc., on pourrait utiliser cette économie pour le financement des industries locales. Cela requiert tout un assainissement du système économique malgache actuel.

On soulève souvent le fléau de la concurrence déloyale…
A Madagascar, on importe tout et on ne produit plus rien. Suite à la libéralisation des échanges exigée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il n’y a plus aucune barrière à l’entrée des importations.Même les produits périmés peuvent entrer sur notre territoire à cause de la défaillance des contrôles.

En retour, on n’arrive pas à s’industrialiser. Les concurrents nous envahissent. Il faudrait une politique protectionniste comme ont fait les Allemands. Ils ont favorisé en premier lieu le développement industriel et n’ont laissé entrer aucun produit similaire à ceux produits localement. Ce n’est qu’arrivés à un stade de compétitivité industrielle, qu’ils ont libéralisé leur marché. Un bon exemple à suivre pour laisser se développer les industries malgaches, en évitant bien sûr les risques de pénurie. Si on insiste, par exemple, sur l’importation des friperies, pourquoi ne pas augmenter les droits et taxes de ces produits et les investir dans le développement des industries textiles malgaches.

Quelles sont les démarches pour une industrialisation pragmatique ?
Il y a de nombreuses stratégies pour industrialiser Madagascar mais il faut avant tout un État fort, capable de tenir tête aux bailleurs de fond sur les décisions stratégiques, comme l’a fait le Rwanda. Il faut aussi que les Malgaches exploitent pleinement leurs richesses, par exemple en matière de produits miniers. Madagascar exporte des pierres précieuses brutes et c’est l’Afrique du Sud qui les transforme en pierres taillées pour les revendre à un prix hyper élevé à Madagascar… Il est urgent d’augmenter la valeur ajoutée manufacturière par tête qui n’est que de 31,8 % et ne participe au produit intérieur brut (PIB) qu’à hauteur de 10 %.

Parlez-nous de la loi sur le développement industriel adoptée en décembre ?
Ce n’est qu’en 2003 qu’on a mis en place une politique industrielle et en 2017 qu’on a adopté cette loi sur le développement industriel. Elle favorise l’industrialisation en répondant à la satisfaction des besoins locaux et non des étrangers via les exportations. Les investisseurs ne pensant qu’à maximiser leur profit, la loi prône la création d’industries de nationalité malgache ayant recours à un emprunt via une banque de développement malgache et non de banques dominées par l’étranger qui n’œuvre que pour les profits de l’extérieur. Cette loi vise également l’allègement fiscal des industries nouvellement créées.

Quelles sont les prochaines actions de l’Alliance pour l’industrialisation durable?
Nous ferons un lobbying pour que cette loi soit appliquée de manière effective par le biais de décrets, faisant ainsi de ce secteur une priorité nationale. Croisons les doigts !

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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