Bakoly Raherimanana : « Le secteur pêche est devenu un terrain de jeu pour les mafieux »
5 septembre 2018 - ÉcoNo Comment   //   2194 Views   //   N°: 104

Les acteurs de la pêche et des ressources halieutiques tirent la sonnette d’alarme sur les fléaux qui frappent le secteur : prix élevé, surexploitation, exploitation illicite, manque de moyens, etc. Tour d’horizon avec Bakoly Raherimanana, co-présidente du Groupement des exportateurs des produits de mer (Gexpromer).

Bakoly Raherimanana
Co-présidente du Groupement des exportateurs des produits de mer

Les ressources halieutiques malgaches ne cessent de diminuer…
C’est paradoxal. Si on ne compte que les 5 000 kilomètres de côtes malgaches et pas moins de 200 000 hectares de plans d’eaux continentaux, les ressources halieutiques malgaches devraient être intarissables. Pourtant, si on se réfère aux données recensées, les ressources ne cessent de diminuer. Le secteur est miné par la surexploitation. Dans la pêche traditionnelle maritime, par faute de moyens, les petits pêcheurs exercent leurs activités dans leur zone de confort. Ils ne peuvent pas aller plus loin. Il est normal que la ressource soit épuisée dans cette zone. Dans la partie Ouest, par exemple, la pêche traditionnelle maritime est concentrée sur l’axe Nord-Ouest de Mahajanga vers Antsiranana et le Sud-Ouest de Morondava vers Belo sur Tsiribihina. En revanche, la partie Centre-Ouest n’est pas encore très exploitée.

Qu’en est-il de la pêche illicite ?
Certains pêcheurs industriels, notamment pour les grandes entreprises, pénètrent dans des zones qui leur sont interdites. Au lieu de pêcher au large, ils longent près des côtes.

« Il est inadmissible d’accorder des permis à des étrangers qui exploitent nos ressources et dont l’activité ne profitent qu’à une minorité »

Avec les insuffisances des contrôles, ils exploitent d’autres ressources qui ne figurent pas dans la liste des produits autorisés dans leur licence de pêche. D’autre part, des pêcheurs traditionnels utilisent des filets de pêches avec des mailles trop petites et détruisent à leur passage toutes les génitures des ressources halieutiques.

Comment cette diminution de ressources se traduit-elle en chiffres ?
La valeur des exportations de l’ensemble des produits halieutiques est passée de près de 800 milliards d’ariary en 2006 à 500 milliards d’ariary en 2017. C’est une énorme perte économique. Il y a cinq ans, la pêche a été en pole position comme pourvoyeur de devises à Madagascar. Aujourd’hui, elle est troisième.

Qu’apporte ce secteur à l’économie nationale ?
D’après les chiffres du ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques, la pêche et l’aquaculture représentent 7 % du produit intérieur brut national en 2017. Le secteur représente un quart des exportations de Madagascar et génère plus de 500 000 emplois.

Malheureusement, les chiffres ne sont que des estimations car le secteur est envahi par l’informel. Par manque d’emplois dans le pays, des personnes se ruent vers le commerce des ressources halieutiques pour gagner leur vie. Ils n’ont ni les autorisations administratives ni les connaissances nécessaires pour préserver leurs produits. C’est ce qui cause les intoxications par fruits de mer.

Vous dénoncez une concurrence déloyale au niveau de l’exploitation des ressources…
A part les informels, le secteur est envahi par des investisseurs étrangers notamment les Asiatiques. Ils ont énormément de moyens financiers pour exercer leurs activités. Malheureusement, leurs actions ne représentent que très peu d’intérêt pour Madagascar. Ils font eux-mêmes la collecte, le transport, l’emballage, l’export, etc. La chaîne de valeur n’implique que quelques Malgaches. Cela ne crée ainsi que très peu d’emplois. Il est inadmissible qu’on puisse accorder des permis de collectes à des étrangers qui exploitent nos ressources et dont l’activité ne profite qu’à une minorité. De plus, ils achètent des produits à des prix très élevés juste pour perturber la filière. Voilà pourquoi les produits de mer sont aussi chers aujourd’hui.

Quelles conséquences précisément ?
Si on prend, par exemple, le crabe. Madagascar est, aujourd’hui, une niche de crabes vivants pour la Chine. Sa quantité exportée est passée de 800 tonnes en 2009 à près de 2 000 tonnes en 2013. Les Asiatiques les achètent très chers auprès des pêcheurs, voilà pourquoi leur prix a augmenté. Il y a trois ans, le crabe était à 2 000 ariary le kilo auprès des pêcheurs. Aujourd’hui, il frôle les 10 000 ariary, cinq fois plus cher. Pareil pour les crevettes, le prix est passé de 8 000 ariary à 17 000 ariary le kilo en l’espace de trois ans. De plus, s’ils achètent par exemple une tonne de crabe auprès des pêcheurs, ils ne ponctionneront que les 400 kilos dont ils ont besoin ; le reste participe donc du gâchis alimentaire. Autre fait, certains de ces exploitants étrangers font de l’exploitation illicite de produits de valeur comme le corail noir. Le secteur pêche est actuellement devenu un terrain de jeu pour les mafieux.

Quelles répercussions sur les consommateurs ?
Aujourd’hui, les fruits de mer sont un luxe pour les Malgaches. Seule la classe moyenne peut se permettre de manger du poisson à près de 6 000 ariary le kilo. Pour ce qui est des langoustes, crustacées et camarons, seuls les plus riches ont les moyens d’acheter. Le kilo de langouste est aujourd’hui dans les 40 000 ariary le kilo contre 10 000 ariary il y a trois ans.

Comment trouvez-vous la gestion des ressources halieutiques ?
L’Etat n’accorde pas les moyens financiers nécessaires pour faire décoller le secteur de la pêche et des ressources halieutiques. Moins de 1% du Budget annuel de l’Etat est consacré à ce secteur. Aujourd’hui, les exploitations illicites se multiplient car nos gardes-côtes manquent à la fois de moyens humains et matériels pour surveiller les zones de pêche et le marché local. Les garde-côtes devraient travailler de près avec les forces de l’ordre pour mener à bien leur mission. De plus, ils devraient bénéficier de bonnes conditions financières pour ne pas être tentés par les pots de vins.

Que faut-il améliorer au niveau législatif ?
Les textes et les lois sur les ressources halieutiques sont déjà bien ficelés. C’est leur application qui fait défaut. Il n’y a pas assez de sensibilisation pour expliquer aux acteurs concernés le bien fondé de ces lois. A titre d’exemple, les crabes de moins de 11 centimètres ne devraient pas être commercialisés. Pourtant, on en voit partout sur le marché. Les pêcheurs, eux-mêmes, connaissent cette interdiction mais ne comprennent pas pourquoi ces crabes ne devraient pas être exploités. Par ailleurs, en près de dix ans, nous avons eu cinq ministres. Arrivés au pouvoir, ils veulent tous apporter un changement aux textes et aux lois. Cela crée une discontinuité des actions. Le Ministre devrait s’occuper uniquement de la meilleure manière d’appliquer ces lois. Voilà pourquoi, il faudrait un ninistre technicien, et non un nommé politique.

Quelles sont les actions de Gexpromer dans la structuration de ce secteur ?
En collaboration avec l’Union européenne, nous actons pour la professionnalisation du secteur. Nous avons organisé une formation en qualité et hygiène pour les acteurs en 2017. Dans la foulée, près de 40 000 cartes pêcheurs ont été distribuées et plus de 28 000 pirogues ont été immatriculées. Ces cartes et ces immatriculations permettent une traçabilité des produits. Si un problème d’intoxication se produit à l’étranger, nous saurons qui est le pêcheur qui nous a fourni les produits. Nous pourrons ensuite régler le problème. Nous avons également fourni des pirogues motorisées aux pêcheurs pour un gain de temps. Cela leur permet de ne pas passer par les collecteurs pour nous fournir les produits. C’est donc un gain économique aussi bien pour nous que pour eux.

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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