Axel Brueckmann : « La totalité du charbon commercialisé à Nosy Be est illégale »
9 novembre 2018 - ÉcoNo Comment   //   2640 Views   //   N°: 106

« La majorité des charbonniers ne veut pas se professionnaliser de peur de payer des impôts »

Que se passe-t-il avec la filière charbon ?
Les charbonniers coupent les arbres sans permis. Ils font ensuite du charbon de bois qu’ils vendent au bord de la route ou qu’ils expédient dans les grandes villes. Il n’y a aucune traçabilité des mouvements et la situation ne fait qu’empirer. L’État estime que les Malgaches ont besoin de 18 millions de mètres cubes de bois de charbon. Or, la production disponible autorisée n’est que de 9 millions de mètres cubes Nous consommons donc le double de ce qui est disponible, ce qui signifie que les charbonniers travaillent dans l’illégalité.

Comment en sommes-nous arrivés là ?
Les plantations sont surexploitées. Les terrains commencent à être fatigués et produisent moins de bois. Les charbonniers doivent donc trouver d’autres solutions pour produire du charbon. Ils pénètrent dans les forêts naturelles, notamment dans les aires protégées, pour couper du bois. Pourtant, c’est interdit par la loi ! Un charbonnier m’a récemment confié qu’il n’y a plus beaucoup d’arbres à couper,alors ils s’attaquent aux souches et aux racines pour faire du charbon… 

A Nosy Be, faute de plantations, les charbonniers coupent de façon illicite dans les mangroves et en font du charbon. Aujourd’hui, la totalité du charbon commercialisé à Nosy Be est illégale.

Quels sont les impacts de la production de charbon sur nos ressources ?
A Madagascar, le charbon de bois est un produit de première nécessité, même si sa production est une des raisons principales de la déforestation. Il faut dix kilos de bois pour faire un kilo de charbon et un ménage a besoin de plus d’une tonne de charbon par an, soit dix tonnes de bois à lui tout seul. Si on multiplie ce chiffre par le nombre d’habitants qui consomment du charbon de bois, on ne peutque constater une énorme perte forestière. Selon mes estimations, il faudrait un reboisement de 100 000 hectares par an pour satisfaire la demande actuelle en charbon de bois, mais pour cela il faudrait attendre vingt ans ! Pour l’instant, il n’est donc pas possible d’assouvir la demande à moins d’une forte volonté politique de reboisement.

Comment se porte le business du charbon ?
C’est un business très lucratif. Un habitant a besoin de 100 à 200 kg de charbon par an. Le prix du sac de 50 kilos est aujourd’hui dans les 20 000 à 30 000 ariary. Le chiffre d’affaires du charbon est estimé à près de 2 000 milliards d’ariary par an. C’est une filière très rentable mais qui ne profite en aucun cas à la Collectivité. Personne ne paie des taxes dessus. La filière n’est ni structurée ni professionnalisée et la majorité des charbonniers ne veut pas se professionnaliser de peur de payer des impôts

Quelles sont les zones productrices de charbon de bois ?
La population de la capitale consomme le plus de charbon et le charbon provient essentiellement des forêts d’eucalyptus d’Ambohidratrimo, Anjozorobe, Ankazobe, Andramasina, Avaradrano, Atsimondrano et Manjakandriana. Par ailleurs, toutes les zones au bord des routes nationales sont productrices de charbon et approvisionnent les grandes villes.

Et en ce qui concerne la qualité ?
Les techniques de charbonnage sont toujours aussi rustiques. La majorité des charbonniers ne bénéficient pas de formations, d’équipements ou de financement pour améliorer leur production. La qualité du charbon laisse donc à désirer.

Dans un sac de charbon, il se peut qu’on ait les beaux morceaux en surface mais la moitié du sac est remplie de poudre de charbon. C’est normal puisqu’il n’y a personne pour vérifier la qualité des produits. Les consommateurs se font clairement duper.

Pourquoi le prix du charbon n’est-il pas stable ?
Durant la saison des pluies, les routes sont impraticables, il est donc difficile de transporter le charbon. La plupart des charbonniers préfèrent alors avoir d’autres activités comme la récolte des litchis ou du riz. Dès lors, le produit se fait rare et les prix augmentent. Le prix d’un sac de 50 kilos de charbon peut atteindre les 45 000 ariary, ce qui est hors de portée pour la majorité des ménages. Pourtant, selon les chiffres officiels, le charbon est le combustible le moins cher pour la population malgache, comparé au pétrole qui est dix fois plus cher ou l’électricité treize fois plus coûteuse.

Et pourtant le pays exporte son charbon de bois ?
Oui, même s’il semble absurde d’exporter du charbon de bois alors que la production locale n’arrive même pas à satisfaire ses besoins ! Pourtant, jusqu’en 2016, Madagascar exportait 500 tonnes de charbon de bois par an vers l’Arabie saoudite, Mayotte, Maurice ou encore La Réunion. Heureusement, le ministère de l’Environnement, de l’Écologie et des Forêts a pris la décision de suspendre ces exportations en 2016, conscient qu’il faut d’abord régler les problèmes des Malgaches avant ceux des autres.

Quelles sont les solutions pour structurer la filière ?
Si la déforestation continue, Madagascar sera désert d’ici 2050 et n’aura plus de forêt ni pour la recherche ni pour le tourisme. L’objectif principal est donc de limiter les dégâts écologiques. Il faut à tout prix réduire la consommation charbon de bois et de nombreuses solutions s’offrent, comme les briquettes de charbon fabriquées à partir de déchets recyclés ou encore le charbon fabriqué à partir de balles de riz, un sous-produit du décorticage du riz.

Que fait l’Ades pour régler le problème ?
Depuis 2010, nous avons vendu près de 200 000 exemplaires de fatapera mitsitsy (foyers améliorés à charbon) qui permettent de réduire la consommation de charbon de moitié. Aujourd’hui, 4 % des ménages malgaches utilisent ces foyers. En parallèle, nous misons sur l’éducation environnementale en faisant environ quatre descentes par an dans une cinquantaine d’écoles publiques et privées sur l’ensemble du territoire. Il faut en effet inculquer les bonnes valeurs dès le plus jeune âge.

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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