4Mi : En marge de la Semaine de la Francophonie.
9 janvier 2017 - Grand AngleNo Comment   //   5473 Views   //   N°: 84

Novembre 2016. Les rues de la capitale sont balayées, retapées, des passages piétons apparaissent, de nouvelles voies rapides sont construites à la va-vite. Tana doit être propre et organisée…

« Nous sommes des hommes, pas du bétail. »

À l’intérieur du centre d’hébergement « Fianakaviana Miarina » dans le quartier Isotry. Portrait d’une femme de 48 ans, enceinte de six mois.

Antananarivo est en pleine effervescence. La capitale va accueillir des dizaines de chefs d’État, plusieurs centaines de membres de délégation et des journalistes venus des quatre coins du monde pour la Semaine de la Francophonie. Des décrets gouvernementaux sont décidés en urgence. Charrettes et deux-roues sont interdits de circulation sur les grands axes. Des rumeurs font aussi leur apparition. Se promener pieds nus ou en « kapa » serait interdit pendant la Semaine de la Francophonie. L’événement tant attendu par certains est très controversé et mal vu par les autres.

Une autre rumeur très tenace fait aussi son apparition au mois d’octobre : les 4Mi seraient « ramassés » et embarqués dans des camions de la Commune urbaine d’Antananarivo la nuit tombée. Nous apprendrons rapidement que cette rumeur est fondée lorsque des photos de ces opérations de « nettoyage » sont diffusées sur les réseaux sociaux. Nous ne pouvons pas avoir le nom de l’auteur de ces images ; il risque de perdre son travail au sein de la CUA. Les 4Mi sont emmenés dans les centres d’hébergement du centre-ville de Tana, dans le quartier d’Isotry plus exactement.

Un homme complètement ivre parvient à dormir profondément dans l’enceinte du centre d’hébergement.

La commune à brûler les abris en sachet plastique et carton d’Ambohijatovo le 7 février 2016.

Certains sont même déportés jusqu’à Tsiroanomandidy, à 4 heures de la capitale.

Nous nous intéressons à ces centres d’hébergement à Isotry. Surtout le nouveau qui a été construit début septembre, sûrement en prévision de la Semaine de la Francophonie. Tout doit être propre. Les bennes à ordures doivent être vidées, les rues doivent donc être aussi vidées de leur occupants nauséabonds. Nous avions déjà constaté ces mêmes opérations de ramassage et de déportation un peu avant la tenue des Jeux des Îles de l’Océan Indien en 2007. C’est à croire que depuis presque dix ans, Tana n’a rien pu faire pour ses sans-abri…

Nous décidons de nous rendre de nuit au centre Fianakaviana Miarina situé dans le quartier d’Isotry. On nous dit que les camions arrivent, chargés de 4Mi, vers 20 heures… mais seulement à certains jours de la semaine. Pas de problème, nous allons voir les 4Mi dans le centre, leur parler, voir leurs conditions d’hébergement. Nous sommes plutôt bien accueillis par les personnels qui veillent sur le centre et leurs occupants.

Trois jeunes dans le centre du centre d’hébergement « Fianakaviana Miarina » dans le quartier d’Isotry.

À l’intérieur du centre d’hébergement « Fianakaviana Miarina » dans le quartier d’Isotry. Portrait d’un père et son fils de neuf mois.

Les 4Mi sont admis dans le centre de 17 heures jusqu’à 8 heures le lendemain. Ceux qui détiennent un passeport fokontany peuvent bénéficier d’une couverture. Le personnel du centre garde les passeports fokontany ; il ne faudrait pas que les couvertures s’en aillent avec leurs bénéficiaires. Donc pour une nuit, ces « bénéficiaires » ont un toit, une paillasse et pour certains une couverture de laine. En revanche, aucun service de distribution des repas pour ces 160 occupants. Il faut tenir jusqu’au lendemain matin. Le directeur de la Réinsertion sociale au sein du Ministère de la Population nous précise qu’aucun budget n’est prévu pour cela. (Tant qu’à faire, mieux vaut que l’argent serve à quelque chose de plus utile comme peindre des passages piétons sur la chaussée. Passage qu’aucun piéton, et encore moins automobiliste, ne semblent vouloir respecter d’ailleurs.)

L’État organise des visites de médecins du ministère dans ce type de centres. Tous les jours nous dit-on. Mais ils ne font que « relever les compteurs ». Pas d’interventions médicales, juste des diagnostics. Et pourtant il suffit de rester quelques minutes en compagnie des occupants du centre pour constater que, mise à part leur évidente extrême précarité,

À l’intérieur du centre d’hébergement « Fianakaviana Miarina » dans le quartier d’Isotry.

la plupart souffre de problèmes de santé qui nécessitent une prise en charge immédiate… au risque d’un décès dans les semaines ou mois à venir. Par exemple, cet homme atteint de diabète, avachi sur sa couche. Cette femme de 48 ans complètement ivre… et enceinte de six mois. Nous constatons également que la plupart des enfants sont sous-alimentés ou souffrent de la toux. Ils nous regardent d’un air hagard, comme s’ils allaient s’évanouir de fatigue devant nous. La plupart des hommes présents sont dans un état avancé d’ébriété, comme si cela pouvait faire oublier la faim ou leur mauvaise santé.

Certains nous montrent des plaies béantes, purulentes en train de s’infecter. Conséquences de vieilles rixes entre gens de la rue. Pour les 4Mi, les rues de Tana sont bien plus dangereuses la nuit. Agressions, viols, alcoolisme chronique, etc… Les enfants en sont les premières victimes.

En février 2016, nous avions déjà constaté que la commune urbaine de Tana procédait à des ramassages de 4Mi aux alentours du quartier d’Ambohijatovo. Il avait été annoncé que les « trano sachet » présents dans le quartier seraient détruits… Mais ce préavis n’avait duré qu’un jour, ils avaient ensuite incendié les abris de fortune de ces habitants de la rue. Aucune contrepartie, mise à part l’accueil en centre d’hébergement de nuit. Nous avions alerté la Croix Rouge malgache pour les sensibiliser sur certains cas de personnes qui demandaient une aide médicale d’urgence. Mais l’organisation nous a répondu qu’ils ne pouvaient intervenir qu’en cas de « catastrophe naturelle ». Depuis l’ouverture du centre Fianakaviana Miarina, le directeur de la Réinsertion sociale, impuissant devant ce nouvel afflux de bénéficiaires, a demandé l’aide des ONG via sa hiérarchie pour l’aider dans sa mission. Il ne semble pas avoir eu beaucoup de soutien jusqu’à maintenant…

Le 21 novembre nous entrions dans la Semaine de la Francophonie. Les « ramassages » du soir se sont faits plus fréquents. Mais le 24 novembre les 4Mi sont maintenus dans le centre. Personne ne sort. Les responsables ont décidé d’organiser une opération de recensement pour compter le nombre de femmes, hommes, enfants, orphelins.

Simple coïncidence ou prétexte d’urgence pour ne pas dévoiler ces oubliés de la société aux yeux du monde francophone ?

Texte et photos : #ZanakynyLalana et #Rijasolo

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